Obligation d'information sur les bénéficiaires effectifs des sociétés : un régime contraignant, une application dans le temps incertaine

Par Fatima Khachani et Lucas Sebban

La loi dite Sapin II du 9 décembre 2016 et l’ordonnance 2016-1635 du 1er décembre 2016 ont chacune créé, par inadvertance, une nouvelle même section du Code monétaire et financier (instituant les nouveaux articles L. 561-46 et suivants) relative aux obligations d’informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés immatriculées.

Les sociétés immatriculées devront désormais déclarer au greffe, sous peine de sanctions, les éléments d’identification des bénéficiaires économiques effectifs des sociétés ainsi que les modalités de contrôle qu’ils exercent sur celles-ci, selon des modalités qui seront définies par décret.

Deux dispositifs pour le prix d’un ne présage pas nécessairement d’une bonne affaire pour le justiciable. En effet, cette réforme d’apparence anodine est pourtant contraignante et ses contours à ce jour sont pour le moins flous.

En effet, les rédactions issues de ces deux textes étant divergentes quand elles ne sont pas contradictoires, la question de leur application respective dans le temps se pose.

Si la rédaction issue de la loi dite Sapin II (I) entrera en vigueur au 1er avril 2017 (a), elle ne sera pas applicable avant la publication encore incertaine d’un décret pris en Conseil d’Etat pour son application (b).

Quant à la rédaction issue de l’ordonnance 2016-1635 (II), celle-ci ne pourrait se substituer aux dispositions de la loi Sapin II (a) qu’après la promulgation d’une loi de ratification lui conférant valeur législative et la publication d’un décret d’application pris en Conseil d’Etat (b).

 

La loi Sapin II : Une application dans le temps incertaine d’un régime moins coercitif mais au champ d’application plus étendu

 

Le champ d’application des dispositions issues de la loi Sapin II est résolument plus large que celui des dispositions de l’ordonnance 2016-1635. Il vise toutes les sociétés immatriculées en France que leurs titres soient admis sur un marché réglementé ou non. Un chantier large dont la réalisation demeure incertaine en l’absence d’un décret d’application pris en Conseil d’Etat.

Un contenu large, une sanction mesurée

La loi Sapin impose à toutes les sociétés et entités françaises immatriculées aux greffes des Tribunaux de commerce de communiquer, lors de leur immatriculation, puis « régulièrement » les éléments d’identification des bénéficiaires effectifs desdites sociétés.

Ainsi, le champ d’application de ces dispositions légales est particulièrement large en ce que les obligations de déclaration reposeront à la fois sur les sociétés non cotées, mais également sur les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé.

L’accès aux informations ainsi communiquées au greffe sera réservé à la société ayant déposé le document mais aussi aux autorités compétentes, notamment judiciaires, douanières et fiscales, aux organismes financiers visés à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier et toute autre personne « justifiant d’un intérêt légitime » sur autorisation du juge commis à la surveillance du RCS.

Le champ d’application est particulièrement large. Pour autant, la loi ne prévoit à ce jour aucune sanction autre que les sanctions de droit commun prévues à l’article L.123-5-1 du Code de commerce pour les manquements aux formalités de déclaration au greffe, à savoir le refus d’immatriculation et l’injonction du président du tribunal de communiquer les informations à la demande de tout intéressé ou du parquet.

L’application de ces textes suspendue à un décret en Conseil d’Etat

Ces dispositions entreront en vigueur au 1er avril 2017. Cependant, elles ne pourront produire leurs effets qu’à compter de la publication d’un décret en Conseil d’Etat qui fixera la liste des informations collectées ainsi que les conditions et modalités selon lesquelles ces informations seront obtenues, conservées, mises à jour et communiquées au registre du commerce et des sociétés.

A ce jour, il n’existe aucune indication qu’un tel décret serait en préparation au Conseil d’Etat.

Si le régime issu de la loi n’entre en vigueur qu’au jour de la publication du décret en Conseil d’Etat pris pour son application, ce régime serait vraisemblablement remplacé par celui issu de l’ordonnance une fois une loi de ratification promulguée et un décret d’application publié.

 

La possible substitution du régime plus circonscrit mais plus coercitif de l’ordonnance 2016-1635

 

Les dispositions issues de l’ordonnance, dont le champ d’application est plus restreint que celui des dispositions issues de la loi Sapin II, n’entrainent pas moins des sanctions potentielles plus lourdes. Quant aux conditions formelles d’application, une loi de ratification doit donner pleine valeur législative à cette ordonnance, qui une fois le décret pris pour son application publié, viendra pleinement remplacer les dispositions issues de la loi Sapin II.

Un champ d’application restreint, une sanction plus lourde

Le champ d’application des dispositions issues de l’ordonnance 2016-1635 concerne les sociétés et entités françaises immatriculées dont les titres ne sont pas admis sur un marché réglementé. Ainsi toutes les sociétés anonymes cotées en bourse seront exclues des dispositions issues de l’ordonnance.

Quant au contenu de ces dispositions, il s’agira pour les sociétés concernées de communiquer les informations relatives aux bénéficiaires économiques effectifs au greffe du Tribunal de commerce lors de l’immatriculation, puis « régulièrement » afin de les mettre à jour, dans des conditions qui doivent être précisées par décret.

Les sanctions prévues par ces dispositions sont quant à elles plus lourdes que celles prévues par les dispositions de la loi Sapin II. Le président du Tribunal de commerce pourra enjoindre de déposer le document, d’office ou à la requête du parquet ou de toute personne justifiant y avoir un intérêt d’une part. D’autre part, le manquement à cette nouvelle obligation sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende, la responsabilité pénale de la personne morale pouvant être également engagée.

Un régime en sursis dans l’attente d’une loi de ratification et d’un décret en Conseil d’Etat pour son application

Ces dispositions n’entreront en vigueur qu’après la promulgation de la loi de ratification leur conférant valeur législative (cette ratification permettra dès lors à ces dispositions de remplacer celles issues de la loi Sapin II) et après la publication d’un décret en Conseil d’Etat précisant leurs modalités d’application.

La session parlementaire de la XIVe législature ayant pris fin le 22 février 2017, et l’ouverture de la XVe législature, suivant les élections législatives de juin, étant prévue pour le 27 juin 2017, l’adoption de la loi de ratification de l’ordonnance ne devrait pas avoir lieu avant l’automne 2017, ouvrant alors la voie pour la publication du décret en Conseil d’Etat pris pour l’application de ces dispositions. Dès lors, il est raisonnable de penser que les dispositions issues de l’ordonnance ne prendront pleinement effet qu’à la fin de l’année 2017 dans le cas où la nouvelle législature prendrait cette question à bras le corps dès son ouverture.

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En définitive, les obligations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés immatriculées prendront effet en droit français soit dès la prise du décret en Conseil d’Etat pour l’application des dispositions issues de la loi Sapin II, à charge pour celles issues de l’ordonnance 2016-1635 de les remplacer dans un deuxième temps. Soit, si aucun décret en Conseil d’Etat n’est pris pour l’application des dispositions issues de la loi Sapin II, ces obligations prendront effet dès les formalités légistiques accomplies pour l’entrée en vigueur des dispositions issues de l’ordonnance.

En toute état de cause, les sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés doivent s’attendre à se conformer à ces nouvelles obligations au plus tôt à l’automne 2017 et au plus tard dans le courant de l’année 2018.

 F. Khachani