Suppression des Commissaires aux Comptes dans les PME : vraiment une bonne nouvelle ?

Par Philippe BERTEAUX, Avocat Associé

 

Une révolution de « palais » s’annonce dans le monde du chiffre.

Le gouvernement a pris la décision de supprimer l’obligation pour les petites et moyennes entreprises de faire certifier leurs comptes par des Commissaires aux Comptes.

Cette décision a été confirmée par le Ministère de l’Economie et des Finances à l’occasion d’une réponse parlementaire publiée le 10 mai 2018.[1]

 

Un abaissement significatif des seuils

A l’heure actuelle, les seuils posés par les textes quant à l’obligation pour les entreprises de recourir au Commissariat aux Comptes sont les suivants :

Pour les SARL, EURL, SNC et SCS, le recours aux CAC s’impose en cas de dépassement de deux des seuils suivants :

- Un chiffre d’affaires H.T supérieur à 3,1 millions d’euros ;

- Un total bilan de plus de 1,55 millions d’euros,

- Plus de 50 salariés,

 

Pour les SAS, le recours aux CAC s’impose en cas de dépassement de deux des seuils suivants :

- Un chiffre d’affaires H.T supérieur à 2 millions d’euros ;

- Un total bilan de plus d’1 million d’euros,

- Plus de 20 salariés.

 

Il n’y a pas de condition de seuil pour les SA.

La loi actuelle se distingue par le niveau particulièrement bas de ces seuils par rapport aux normes européennes.

La volonté exprimée par le gouvernement consiste purement et simplement « à appliquer la norme européenne » [2] posant le seuil obligatoire d’intervention des CAC à :

8 millions de chiffre d’affaires,4 millions de total bilan,50 salariés.

 

Des objectifs de simplification et de réduction de coûts

La décision du gouvernement repose d’abord sur une volonté d’élimination des contraintes règlementaires pesant sur les PME.

Elle poursuit aussi une logique d’allègement des coûts.

Un rapport de l’Inspection Générale des Finances a évalué le coût moyen annuel de l’intervention d’un Commissaire aux Comptes à 5.511 € par entité.

Selon le gouvernement, la suppression serait de nature à renforcer la compétitivité des PME.

 

Un impact économique considéré comme lourd par les CAC

La mesure risquerait de produire des effets très importants pour la profession de CAC.

Selon l’Inspection Générale des Finances, la profession perdrait 25% de ses mandats, soit 620 millions de chiffre d’affaires.

Selon les représentants de la profession, la réforme mettrait en danger 6.000 à 7.000 emplois salariés et toucherait 3.500 professionnels.[3]

Le gouvernement a pris conscience des effets néfastes de la mesure et a créé une commission placée sous la présidence de Monsieur Patrick Cambourg (Président de l’Autorité des Normes Comptables) pour réfléchir à des missions alternatives susceptibles d’être confiées aux CAC.

Ces nouvelles missions pourraient notamment porter sur des certifications liées à la RSE (responsabilité sociale et environnementale), à la cyber sécurité ou à la lutte contre la corruption dans les grands groupes.

Toutes ces pistes restent cependant à se concrétiser.

 

La mission des CAC ne doit pas être mésestimée

La mission première des Commissaires aux comptes est de certifier, « en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice. »[4]

Supprimer l’intervention des CAC dans les PME, c’est donc exonérer les PME de soumettre leurs comptes à une procédure de certification.

Il n’est naturellement pas envisageable de soutenir que le seul abandon de la procédure de certification aboutirait à des dérives par rapport aux règles de prudence comptables.

Il a d’ailleurs été rappelé par le gouvernement que 75% des PME recourent à l’intervention d’un expert-comptable, ce qui préserve sans nul doute la qualité comptable.

Même s’ils ne sont pas tenus à l’égard de l’entreprise à une obligation légale d’indépendance comme l’impose aujourd’hui le statut de CAC, la pratique démontre que les experts-comptables (qui au demeurant détiennent pour la plupart des mandats de Commissaire aux Comptes) s’attachent à faire respecter les principes de prudence comptables.

Pour autant, la certification peut avoir un intérêt dans la vie des PME.

Il en est ainsi par exemple lorsqu’une cession de l’entreprise est envisagée, la certification des comptes sans réserve de l’entité concernée étant de nature à sécuriser l’acquéreur, notamment du point de vue de la valeur de l’entreprise exprimée dans les comptes.

Tel est également le cas lorsqu’il s’agit pour l’entreprise d’accéder au crédit bancaire, les établissements financiers pouvant trouver dans la certification une garantie quant aux capacités de remboursement pouvant se refléter dans les comptes de la société.

 

Vers un vide juridique lié à la disparition de certaines prérogatives régaliennes du CAC ?

Le projet de suppression des CAC dans les PME consiste à relativiser l’importance d’une certification des comptes pour les petites et moyennes entreprises.

Pour autant, la disparition des Commissaires aux comptes dans les PME conduit mécaniquement à l’anéantissement corrélatif de certaines prérogatives attachées au mandat de CAC et dont l’importance de ne doit pas être méprisée.

Deux exemples peuvent être cités.

Le premier concerne l’obligation pesant sur le CAC de révéler au Procureur de la République les faits délictueux dont il peut avoir connaissance dans le cadre de l’exécution de sa mission.[5]

La question de pratiques délictuellement condamnables se pose dans les PME avec la même acuité voire plus que dans les grandes entreprises qui sont dotées d’organes de contrôle plus renforcés que dans des petites et moyennes entreprises.

Le second concerne le droit d’alerte du CAC en cas de doutes sérieux quant à la continuité d’exploitation de la société.

 

Le droit d’alerte du CAC, consacré par la loi[6], constitue un outil fondamental de détection des difficultés économiques d’une entreprise qui conduit le CAC à  sensibiliser son dirigeant sur la nécessité de prévenir l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), voire de s’y soumettre lorsqu’il n’y a pas d’autre issue possible.

Souvent dans les PME, les dirigeants confinés sur eux-mêmes, s’enferment dans un déni de réalité, souvent dévastateur car il retarde le traitement de difficultés financières avec le risque qu’il soit trop tard.

Le CAC est souvent vécu comme un organe intrusif, cher et presque inamovible.

Le gouvernement, à travers la suppression des CAC pour les PME, veut montrer qu’il répond à une aspiration de nombreux chefs d’entreprises, à savoir celle d’une simplification administrative et règlementaire.

La question est de savoir si une telle approche dépasse la seule visée idéologique (voire électoraliste) et s’il s’agit de soulager l’entreprise d’une contrainte réelle constatée à l’épreuve du terrain.

Pourquoi ne pas y croire.

Ce projet de suppression appelle cependant des réponses qui n’ont pas été apportées à ce stade et qui concernent les outils de substitution permettant de pallier la disparition de certaines prérogatives du CAC comme par exemple le droit d’alerte, dont l’utilité n’est pas discutable.

[1] Question écrite n°03667 de M. Yves Détraigne et réponse publiée au JO du Sénat P.2265.

[2] Communiqué AFP publié le 19 avril 2018.

[3] Source Les Echos 13 avril 2018.

[4] Article L.823-9 du Code de commerce

[5] Article L.823-12 du Code de commerce.

[6] Article L.234-1 du Code de commerce.

 

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