Réforme d’envergure : bouleversement procédural et incertitudes  ou comment l’objectif de simplification ne peut être atteint ?

Par François-Xavier Caron

 

- Instituée par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 et validée par le Conseil Constitutionnel, la réforme de la justice du XXIème siècle a pour vocation de rendre la justice plus simple, plus accessible et plus efficace au profit des justiciables dans des domaines juridiques multiples. 

L’objectif est fort louable mais, en matière de sécurité sociale, l’étude des nouvelles dispositions permet de douter qu’il puisse être atteint ! On peut même craindre une réelle désorganisation, une complexification et donc une justice encore plus lente … 

S’il est en effet un domaine où la loi du 18 novembre 2016 résonne comme une véritable révolution procédurale, c’est bien celui du droit de la sécurité sociale puisque cette loi prévoit une refonte complète de la procédure et des juridictions statuant en la matière, que ce soit dans le cadre du contentieux général, du contentieux technique ou encore du contentieux de la tarification. 

Eu égard aux spécificités des nouvelles procédures mises en place ainsi qu’à l’encombrement actuel des Tribunaux et Cours ayant à intervenir en matière de sécurité sociale, il est permis de douter du caractère adapté de cette réforme à ce contentieux bien spécifique.  

- Jusqu’alors, en dépit du caractère disparate du droit de la sécurité sociale, les compétences de chacune des quatre juridictions statuant en cette matière (Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS), Chambres sociales des Cours d’Appel, Tribunal du Contentieux de l’Incapacité (TCI) et la Cour Nationale de l’Incapacité et de la Tarification de l’Assurance des Accidents du Travail (CNITAAT)) étaient clairement définies et délimitées. 

Désormais, hormis les Chambres sociales des Cours d’appel qui demeureront compétentes, la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle prévoit la suppression pure et simple des TASS, TCI et de la CNITAAT, ainsi que le transfert « en l’état » des dossiers aux nouvelles juridictions « au plus tard le 1er janvier 2019 ». 

C’est, pour le moins, un véritable bouleversement juridictionnel qui engendre de profondes incertitudes ! 

Ainsi, l’article 12 de la loi du 18 novembre 2016, tout en rappelant la dichotomie entre le contentieux général et le contentieux technique de la sécurité sociale, institue une juridiction unique aux lieux et places des TASS et TCI, sous l’égide du juge judiciaire, dont la dénomination est : « Tribunaux de grande instance spécialement désignés ». 

Ainsi, outre la fusion de deux juridictions en une seule, il pourrait y avoir moins de TGI spécialement désignés que de TGI existants et en conséquence aboutir à un effet inverse à l’objectif de la loi qui est d’accélérer les procédures ! 

En ce qui concerne la CNITAAT, sa disparition entraine l’éclatement des dossiers du contentieux technique au sein de « cours d’appel spécialement désignées ».  

Il va sans dire qu’un bras de fer territorial va certainement s’instituer, à l’image des bras de fer qui ont pu voir le jour à l’occasion de la réforme des régions, pour savoir, par exemple, si la Cour d’Appel de Rennes ou si celle d’Angers va remporter la mise juridictionnelle du ressort d’appel des affaires de sécurité sociale en région Bretagne/Pays de la Loire. 

- Par ailleurs, l’une des nouveautés procédurales majeures de la loi du 18 novembre 2016 est l’instauration systématique d’un nouveau « recours préalable obligatoire » et ce, quel que soit l’objet du contentieux, ce qui signifie que le recours n’est désormais plus réservé au contentieux général mais également instauré en contentieux technique. (il est toutefois exclu en matière de tarification).  

Le recours en contentieux général continuera donc d’être obligatoirement précédé d’un « recours administratif obligatoire » mais dont on ignore, à l’heure actuelle, s’il continuera, comme par le passé, à être exercé devant les Commissions de recours amiable instituées par chaque organisme de sécurité sociale. 

En ce qui concerne le contentieux technique, un « recours préalable » est institué mais il est à noter que le mot « administratif » a subtilement disparu et qu’on peut dès lors douter que ce recours soit exercé devant les Commissions de recours amiable précitées. 

Ce double degré de recours, y compris dans le domaine du contentieux technique, ne manquera assurément pas de ralentir la procédure pour les justiciables, s’inscrivant une fois encore à rebours du propre objectif de la loi. 

Ce risque avéré de lenteur procédurale n’a pas manqué d’ailleurs d’interpeler certains parlementaires, notamment Monsieur Philippe Bonnecarrère, Sénateur du Tarn qui, par l’intermédiaire d’une question écrite publiée au Journal Officiel du Sénat du 25 février 2016, attirait l’attention de Monsieur le Garde des Sceaux sur le risque que le regroupement des contentieux général et technique au sein d’un même Tribunal n’entraîne, en raison de l’engorgement actuel des TASS et TCI notamment, un « engorgement substantiel » des nouveaux tribunaux de sorte qu’il lui était permis de « douter de l’efficacité, au sens opérationnel, du projet présenté ». 

La question de la célérité de la justice, qui est une composante de l’efficacité judiciaire, serait mise à mal par une procédure juridictionnelle d’ores et déjà trop longue, mais qui pourrait, en raison de la diminution annoncée du nombre des Tribunaux et Cours d’appel compétents en matière de sécurité sociale, emprunter une voie encore plus périlleuse.  

Par une réponse Ministérielle récente publiée au Journal Officiel du Sénat du 1er décembre 2016, le Ministère de la justice se veut rassurant en annonçant la mise en œuvre de « moyens [..] pour permettre une résorption des stocks, dont le suivi sera assuré par un comité de pilotage national présidé par le premier président de la cour d’appel d’Orléans, M. François Pion, et des comités locaux, en amont du transfert du contentieux aux TGI ». 

Il nous reste à espérer que ces « moyens », dont on ne connait à ce stade pas encore le contenu, permettront de résorber le nombre colossal de dossiers non encore audiencés au sein des Tribunaux d’affaires de sécurité sociale et des Tribunaux du contentieux de l’incapacité, accumulant parfois plus de 5 années de retard d’audiencement, ou encore le stock de plus de 8000 dossiers en cours d’instruction devant la CNITAAT, et ce, de manière non arbitraire, c’est-à-dire, dans le respect du principe du contradictoire et au bénéfice des justiciables.  

 



About the author