L'éviction des actionnaires récalcitrants au service du retournement d'une entreprise en difficulté

Il ne s’agit pas que d’un hasard de calendrier.

L’entrée en vigueur de la loi MACRON 2015-990 du 6 août 2015, puis la décision du Conseil Constitutionnel du 7 octobre 2015[1], laquelle valide la cession forcée des titres des dirigeants en cas de plan de redressement présenté par un tiers[2],  illustrent la volonté du législateur de doter la juridiction consulaire des moyens d’évincer les actionnaires hostiles à un plan présenté par investisseur extérieur ou des créanciers.

L’expérience démontre en effet que les négociations amiables pour le sauvetage d’une entreprise en difficulté peuvent être rendues difficiles par les actionnaires de l’entreprise.

 

La recherche d’un équilibre dans les discussions

Dans ces discussions, les actionnaires sont systématiquement et logiquement interpellés par les créanciers et notamment les banques, sur les efforts financiers qu’ils sont amenés à consentir, notamment sous la forme d’apports en new-money, pour que ces efforts soient équitables et proportionnels à ceux des banques qui n’ont en principe pas à endosser une responsabilité économique et sociale, au contraire des actionnaires.

Indépendamment du phénomène de déni de réalité des difficultés économiques que l’on peut rencontrer chez certains dirigeants-actionnaires, l’entreprise est perçue par eux comme le patrimoine de toute une vie, outre la valeur affective qu’ils y placent.

Comme le relève d’ailleurs le Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (« CIRI »), qui mène les restructurations financières d’entreprises de plus de 400 personnes, la réticence des dirigeants-actionnaires quant à l’entrée de nouveaux investisseurs procède également de choix tactiques consistant à monnayer leur sortie dans les meilleures conditions financières.[3]

Il fallait donc créer des moyens de persuasion des actionnaires suffisamment coercitifs pour leur permettre de mesurer le mérite d’une solution négociée et amiable.

 

Des instruments largement perfectibles

Certains instruments existaient déjà.

En premier lieu, il y avait pour les dirigeants (actionnaires) la possible mise en jeu de leur responsabilité pour faute de gestion en cas d’impossibilité pour l’entreprise de présenter un plan de redressement.

Cette perspective n’était guère convaincante pour le dirigeant dans les faits car une telle menace reste très lointaine puisque la mise en jeu de la responsabilité du dirigeant peut difficilement être appréciée lors du déclenchement d’une procédure collective, dont les causes ne sont pas toujours lisibles.

La recherche de responsabilités peut-être également, à ce stade de la procédure, largement contre-productive car, outre l’instauration d’un climat de défiance à l’encontre de la direction de l’entreprise, elle éloigne les intervenants concernés (Juge commissaire,  Parquet, Administrateur judiciaire, Mandataire judiciaire, Contrôleur…) de l’urgence centrale du moment, à savoir la recherche, souvent dans des délais très courts, d’une solution économique pérenne.

Par ailleurs, la juridiction consulaire dispose de la faculté en application de l’article L.631-19-1 du Code de commerce, d’ordonner, dans le cadre d’un projet de plan présenté par un tiers investisseur, par des créanciers et/ou par certains actionnaires, la cession forcée des titres des dirigeants.

Dans sa décision en date du 7 octobre 2015, le Conseil Constitutionnel a considéré que ce mécanisme était conforme à la Constitution car il répondait à l’intérêt général que commande la poursuite de l’activité de l’entreprise.

Ces deux dispositifs ne concernaient que les dirigeants-actionnaires.

Or, il fallait en étendre le champ à l’ensemble des actionnaires qui peuvent, par voie statutaire ou par des pactes d’associés, empêcher ou contrarier la mise d’une solution de recapitalisation de l’entreprise dans le cadre d’un plan de redressement, recapitalisation provoquant mécaniquement un effet dilutif à leur détriment .

 

L’éviction des actionnaires, même non-dirigeants

C’est dans ce contexte que la loi Macron n°2015-990 du 6 août 2015 a introduit en son article 238, un nouvel article L.631-19-2 du Code de commerce.

Ce nouveau dispositif permet au Tribunal de commerce de provoquer l’éviction d’associés s’opposant à un plan de redressement présenté par un des tiers, à savoir principalement par des créanciers (comme des fonds d’investissement) et ce, de deux façons distinctes :

-        Soit par la désignation d’un mandataire (de justice) chargé de convoquer l’assemblée des associés et de voter la modification du capital social emportant dilution des actionnaires opposants ; dans la pratique ce dispositif a pour objet de permettre l’incorporation au capital par voie de compensation, des créances détenues par les créanciers qui présentent le plan de redressement ; (à noter que dans ce schéma, les actionnaires opposants conservent leurs droits préférentiels de souscription) ;

-        Soit par la cession forcée, au profit des auteurs du plan,  des titres des associés opposants détenant la majorité du capital ou une minorité de blocage ; dans ce second cas, l’application de clauses d’agrément stipulées de façon statutaire ou extrastatutaire est paralysée.

Ce dispositif est réservé aux entreprises qui constituent des « causes industrielles nationales », à savoir aux groupes ou entreprises d’au moins 150 salariés, dont la cessation d’activité serait « de nature à causer un trouble à l’économie nationale ou régionale ou au bassin d’emploi ».[4]

 

Un dispositif qui doit être dissuasif et incitatif

La question qui se pose est désormais de savoir si un tel dispositif connaitra des applications pratiques.

Il le sera peut-être plus qu’on ne peut le penser.

En effet, il place les « acteurs » du dossier (dirigeants, actionnaires et créanciers) devant leur responsabilité.

Cette mise en concurrence peut être saine et créer une certaine émulation ne pouvant qu’encourager la mise en œuvre de solutions pérennes dépassant la seule recapitalisation de l’entreprise par voie d’incorporation de créances et conduisant à l’apport de new money.

Elle doit aussi sensibiliser les créanciers sur leur rôle nouveau, celui de repartir des fondamentaux de l’exploitation de l’entreprise et d’être au plus près du niveau de son activité pour en comprendre la complexité et les défis qu’elle engendre.

L’idée de ce nouveau mécanisme est noble, l’entreprise appartient à  tous ceux qui peuvent jouer un rôle dans le maintien de son activité.

Il est logique, lorsque la situation de l’entreprise atteint un seuil de gravité avérée, qu’aucune préemption de la solution de sauvetage ne soit possible par quiconque.

Cela étant, il s’agit d’un mécanisme déclenché nécessairement dans une phase judiciaire, c’est-à-dire à un stade où les difficultés de l’entreprise sont sur « la place publique » c’est-à-dire connue des clients et fournisseurs.

Comme le rappelle Monsieur le Secrétaire Général du CIRI, la force de ce dispositif est avant tout la dissuasion, à savoir qu’il doit orienter très amont les acteurs du dossier vers la recherche d’une solution amiable dans le cadre de procédures de prévention (telles que le mandat ad hoc ou la conciliation) plutôt que de contraindre la juridiction consulaire à trancher à leur place dans un cadre judiciaire où les difficultés de l’entreprise seront déjà très avancées.[5]

 

Philippe Berteaux

[1] Décision du Conseil  Constitutionnel, 7 octobre 2015, n°2015-486

[2] Au visa de l’article L.631-19-1 du Code de commerce.

[3] « Les Actionnaires face à leurs responsabilités » Thomas REVIAL, revue des procédures collectives, juillet 2014.

[4] Art L.631-19-2 du Code de commerce.

[5] « Les Actionnaires face à leurs responsabilités » Thomas REVIAL, revue des procédures collectives, juillet 2014.

 



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