COVID-19 : Vers la reconnaissance en maladie professionnelle ? Mais au bénéfice et à la charge de qui ?

 

COVID-19 : Vers la reconnaissance en maladie professionnelle

Mais au bénéfice et à la charge de qui ?

 

 

Olivier VERAN, ministre de la santé, a annoncé une reconnaissance « systématique et automatique » en maladie professionnelle pour les personnels soignants atteints par le coronavirus.

 

Dans la continuité, Christophe CASTANER, ministre de l'Intérieur, sollicite à son tour que le Covid-19 soit reconnu comme maladie professionnelle pour les personnels du ministère, insistant pour que le lien soit présumé avec le Covid-19 pour les agents du ministère ayant été au contact du public pendant l'épidémie dans le cadre de leurs fonctions.

 

L’Académie de Médecine a suggéré d’étendre ce droit aux « personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays », en particulier dans les secteurs de l’alimentation, des transports en commun ou de la sécurité. 

 

Consciente néanmoins de l’absence de tableau de maladie professionnelle spécifique, l’Académie de Médecine apporte une nuance entre les agents de l’Etat et des collectivités pouvant déclarer une maladie imputable au service et les salariés qu’elle oriente vers la notion d’accident du travail.

 

Ces déclarations apparaissent des plus justifiées compte tenu de la gratitude due à l’ensemble de ces personnels, dès lors que la reconnaissance en maladie professionnelle assurera une meilleure prise en charge financière de la victime et surtout une meilleure indemnisation des ayants-droits en cas de décès.

Rappelons néanmoins que pour l’instant, les annonces du gouvernement concernent les agents de la fonction publique qui peuvent bénéficier d’une reconnaissance d’une maladie imputable au service, dès lors qu’ils justifient d’un lien direct entre la maladie et l’exercice de leurs fonctions ou de leurs conditions de travail. 

Mais, en quoi cela bénéficierait-il aux salariés de droit privé travaillant notamment dans les EHPAD ou les établissements de santé privés ?

 

Si ce n’est que le statut général des fonctionnaires a été reformé par l’ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 et permet l’application du régime de la présomption légale des maladies professionnelles prévue à l’article L 461-1 du Code de la sécurité sociale, si tant est que la maladie est désignée par un des tableaux de maladies professionnelles déjà existant et réponde aux conditions mentionnées.

 

Dès lors, et comme le préconise l’Académie de médecine, nous tendrions vers la création d’un tableau de maladie professionnelle propre à la contamination au coronavirus, « en analogie avec différents tableaux de maladies professionnelles liées à des agents infectieux (tableaux 80, 76, 56 ou 45) ».

 

Or, les tableaux fixent trois conditions : 

 

- la désignation des maladies,

- le délai de prise en charge, à savoir le délai à compter duquel la victime doit faire médicalement constater son affection alors qu’elle n’est plus exposée au risque,

- et la liste des travaux susceptibles de provoquer ces maladies.

 

Quels seraient les conditions de ce tableau spécifique à la contamination au coronavirus ?

Surtout, qui serait bénéficiaire de ce tableau de maladie professionnelle ?

 

Nous pensons directement aux personnels soignants ou assimilés qui sont en contact avec des patients contaminés au COVID-19 et pour lesquels la liste des travaux susceptibles de provoquer l’infection à la maladie apparaît évidente, telle que le tableau n°45 du régime général relatif aux « Infections d’origine professionnelle par les virus des hépatites A, B, C, D et E » qui prévoit notamment des « Travaux comportant des actes de soins, d'hygiène, d'entretien, d'analyses de biologie médicale ».

 

Mais, qu’en est-il des « personnels travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays », comme les désignent l’Académie de médecine, notamment dans les secteurs de droit privé de l’alimentation, des transports en commun, du nettoyage, de la livraison ou de la sécurité, qui continuent au quotidien à travailler au contact de la population ? 

 

Quels seraient les travaux susceptibles de provoquer la maladie pour une hôtesse de caisse ou un conducteur-receveur de bus ? 

 

Sauf à spécifier les secteurs d’activités concernés dans une liste non limitative des travaux, ce qui est possible mais très loin d’une sécurité juridique souhaitable, il est à craindre que la seule mention des « métiers en contact avec le public » puisse difficilement être admise.

 

Car cela reviendrait à accorder l’application de la présomption d’imputabilité à toute personne en contact avec autrui dans le cadre de son activité professionnelle, ce qui n’exclut en réalité personne.

 

Bien sûr, existe toujours la possibilité d’une reconnaissance d’une maladie dite hors tableau, lorsqu'il est établi devant un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) que la maladie est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux prévisible d’incapacité permanente au moins ou égal à 25%.

 

La maladie hors tableau implique néanmoins que la victime soit décédée, soit qu’elle soit atteinte d’une forme sévère avec complications majeures et un retour à la normale long et difficile, permettant au médecin conseil près la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de fixer un taux d’IP prévisible d’au moins 25%.

 

Ce qui excluraient les formes légères de contamination, sauf apparition d’un syndrome anxiodépressif grave.

 

Compte tenu de la complexité du système juridique actuel du droit de la sécurité sociale, la volonté du gouvernement, bien que des plus justifiées et équitables, risque de se confronter à de nombreuses difficultés de mise en œuvre pratiques.

 

D’autant que les spécialistes du domaine s’accordent à dire que les critères de qualification tant d’une maladie professionnelle, au regard de la condition restrictive tenant à l’exposition au risque, que surtout d’un accident du travail, qui implique la détermination d’un événement accidentel précis particulièrement difficile à rapporter avec le COVID-19, ne sont pas remplis, tendant dès lors à exclure toute application du régime juridique afférent aux risques professionnels.

 

En effet, il semble difficile de tenir l’employeur responsable si un de ses salariés est infecté par la COVID-19 compte tenu des sources multiples et complexes de contamination, pour certaines exclusives de tout lien avec le travail.

 

Ne serait-ce pas plus opportun d’instituer un fonds d’indemnisation spécifique ?

 

Au même titre que l’ONIAM ou le FIVA, l’ANDEVA propose la création d’un fonds d’indemnisation spécifique « assurant une réparation rapide et équitable de tous les préjudices subis par les victimes et leur famille ». 

 

De même, la FNATH s’oriente vers la création d’une Commission d’indemnisation permettant une « réparation intégrale » de tous les préjudices tant des victimes du COVID-19 que des ayants-droits, notamment des préjudices extra-patrimoniaux, tels que le préjudice d’anxiété.

 

Indemnisation qui serait susceptible d’être plus favorable qu’en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la prise en charge étant limitée aux indemnités journalières et aux soins pour les assurés malades, avec possibilité de l’attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle en cas de séquelles importantes ou au versement aux ayants-droits d’un capital en cas de décès.

 

La création d’un fonds d’indemnisation spécifique, permettant d’englober tous les personnels et agents de la fonction publique touchés, apparaît être la meilleure solution. 

 

Un bémol néanmoins concernant les modalités de financement de ce fonds, l’ANDEVA ayant pour sa part, proposé qu’il soit « alimenté par les cotisations des employeurs à la branche accident du travail-maladie professionnelle de la Sécurité sociale et par l’État ».

 

Dans un contexte de crise économique majeure, ne serait-il pas dangereux de faire supporter aux employeurs un poids financier supplémentaire, notamment au titre de la majoration sur la pénibilité, comme évoqué par la FNATH ? 

 

Le 10 avril 2020

 

Sophie TREVET, Avocat, strevet@marvellavocats.com 

Claire COLLEONY, Avocat, ccolleony@marvellavocats.com 

 


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• Droit de la Sécurité sociale



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