Conseil d’Etat, décision 435372, 22 juillet 2020
La décision du Conseil d’Etat en date du 22 juillet 2020 intervient afin de mettre un terme à l’affaire « Let’s Grau ».
Dans cette affaire, s’opposait la commune du Grau-du-Roi, titulaire de la marque française semi-figurative n°4254579 déposée le 2 mars 2016, à l’association Francophonie Avenir.
Dès 2016, le maire de la commune Grau-du-Roi décide alors de communiquer sur sa marque territoriale en l’apposant sur l’ensemble des supports de communication touristiques de la ville.
Non content de cela, l’association Francophonie Avenir demande au maire de supprimer l’expression « Let’s Grau » de ces supports en ce qu’elle n’est pas conforme à la loi Toubon relative à l’emploi de la langue française, ce que le maire refuse expressément par une décision du 2 février 2016.
Cette décision est attaquée devant le Tribunal administratif de Nîmes par l’association et si elle obtient son annulation, pour excès de pouvoir, en première instance, tel ne sera pas le cas devant la cour d’appel.
L’association demande ainsi l’annulation de l’arrêt qui a considéré que la commune pouvait utiliser le signe « Let’s Grau » dès lors que pour les noms de marque de fabrique, de commerce ou de service, l'obligation d'emploi de la langue française, dont le principe est posé par l'article 2 de la loi du 4 août 1994 dite loi Toubon, obéit aux dispositions particulières de l'article 14 de cette loi qui prévoit que l'emploi, dans le nom d'une marque utilisée pour la première fois après l'entrée en vigueur de la loi, d'une expression ou d'un terme étranger à la langue française, n'est interdit aux personnes morales de droit public que s'il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française.
Pour rappel, l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française dispose que « Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. / Les mêmes dispositions s'appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. / (...) ».
L’article 14 prévoit toutefois, s'agissant des marques, que : « I. L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française (...) / II. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux marques utilisées pour la première fois avant l'entrée en vigueur de la présente loi ».
Pour l'application de ces dispositions, existe donc une commission d'enrichissement de la langue française, dont le rôle est de créer et d’enrichir la langue française, une fois les termes validés par l'Académie française.
Or, la cour d’appel indique à cet égard que l'expression anglaise « let's » n'a pas fait l'objet de l'approbation, par la commission d'enrichissement de la langue française, d'une expression française équivalente publiée au Journal officiel.
Le Conseil d’Etat relève ainsi que la cour d’appel a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que cette expression ne disposait pas d'équivalent en langue française au sens des dispositions de l'article 14 de la loi du 4 août 1994 et que, dès lors, la marque « Let's Grau » ne pouvait méconnaître l'obligation d'emploi de la langue française.
On notera également que le Conseil d’Etat considère que la circonstance que l'expression « Let's Grau » a le caractère d'un calembour est sans incidence sur l'absence d'équivalent en langue française.
Le Conseil d’Etat décide ainsi que l'association Francophonie Avenir n'était pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt. La question qui se pose est pourtant de savoir si « Let’s Grau » ne pouvait pas se traduire par « Allez Grau » qui semble constituer la traduction littérale de la marque. Pourtant, le Conseil d’Etat n’a pas été sur ce terrain-là, considérant que faute d’intervention de la commission d'enrichissement de la langue française, « let’s » pouvait être employé.
Le choix de « Let’s Grau » est donc une opération marketing approuvée par le Conseil d’Etat. Quant à l’expression « Allez Grau », celle-ci n’aurait peut-être pas eu le même succès, s’agissant d’une expression qui rappelle aisément le langage employé par les jeunes qui consiste à désigner des amis ou des potes sous le terme de « Gros » …