Il n'est pas nécessaire de rappeler les dispositions de l'article L 1222-9 du Code du travail qui prévoient que :
"L'accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale."
Ces dispositions de principe engageaient peu les entreprises françaises jusqu'à la pandémie actuelle du Covid-19 et les exigences de santé publique conduisant à privilégier autant que possible la mise en télétravail des salariés.
Lors de la négociation récente de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 sur le télétravail, le patronat avait demandé un assouplissement du principe de la présomption d'imputabilité afin que soient prises en considération les difficultés pour les employeurs de s’assurer que leurs salariés se trouvaient bien au temps et au lieu du travail.
Devant l’opposition des syndicats, cette demande a été abandonnée et l’accord définitif prévoit que :
« 3.4.3. Accident de travail
Le télétravail étant une modalité d’exécution du contrat de travail, la présomption d’imputabilité relative aux accidents de travail s’applique également en cas de télétravail. Malgré les difficultés de mise en œuvre pratique, c’est ce que prévoit explicitement le code du travail. »
Rappelons que le principe de la présomption d’imputabilité posé à l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale institue que tout accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause, est considéré comme un accident du travail.
Dans le cas particulier des accidents déclarés par un salarié en télétravail, sauf à ce que ce dernier informe tardivement son employeur et ne fasse pas médicalement constater sa lésion dans un délai raisonnable, il revient principalement à l’employeur de prouver, comme l’indique le syndicat CGT, que le salarié « n’était pas sous son autorité, qu’il avait par exemple quitté temporairement son poste pour vaquer à des occupations personnelles ».
Mais si cela était si simple !
Car en réalité, même si le cadre du télétravail notamment sur les horaires de travail est strictement défini, il sera particulièrement difficile pour l’employeur d’établir l’absence de lien de subordination dès lors que son salarié invoque un accident du travail, ce même s’il prévient son supérieur hiérarchique le lendemain.
Citons à cet égard l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 mai 2019 (RG 16/08787) concernant un salarié qui décède après un rapport sexuel alors qu’il se trouve en mission pour le compte de son employeur.
Il est aisé de reconnaître que le salarié s’est adonné à des occupations personnelles sans rapport avec son travail et pour autant, la Cour d’appel de Paris a retenu que l’employeur ne rapportait pas la preuve que le salarié n’était plus placé sous son autorité lorsque celui-ci avait entretenu des relations sexuelles ayant entraîné sa mort en dehors de sa chambre d’hôtel, de sorte que le décès du salarié après un rapport sexuel en déplacement professionnel était un accident du travail.
Cette situation ubuesque sur un accident de mission est tout à fait transposable aux accidents déclarés par les salariés en télétravail.
Prenons les exemples pratiques suivants :
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Le salarié chute dans les escaliers de son pavillon :
Que la chute survienne alors que le salarié se déplaçait pour « lancer une machine » (convenance personnelle) ou pour prendre un café (pause assimilée à du temps de travail), il est certain que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ne dédouanera pas l’employeur et rendra une décision de prise en charge, dès lors que le lien de subordination même ténu reste maintenu, notamment via les moyens de communication actuels (téléphone portable …).
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Le salarié fait sa vaisselle après avoir déjeuné et se coupe avec une assiette :
Il en est de même, dans la mesure où sauf à justifier d’une interruption du travail pendant la pause déjeuner strictement définie et d’une coupure de l’accès à l’ordinateur (idéalement fourni par l’employeur) et au téléphone, le lieu du déjeuner peut être assimilé à la cantine de l’entreprise et sera donc défini comme le lieu du travail, peu important le temps du travail qui devient alors une condition secondaire.
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Le salarié chute dans la rue en se rendant sur un lieu de coworking :
Le lieu de coworking constituant un lieu de travail non habituel, il est à craindre que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie ne retienne pas la qualification d’accident de trajet mais applique le régime de l’accident de mission.
L’optique pessimiste avouée de cet article a pour seul but de mettre en lumière auprès des employeurs la nécessité d’encadrer avec rigueur les conditions pratiques du télétravail de leurs salariés (horaires de travail hors cadres forfait jour, déconnexion des salariés, modalités de communication avec le responsable hiérarchique …).
D’un point de vue probatoire, il s’agit du seul moyen pour l’employeur de justifier que lors de la survenance de l’accident, le salarié n’était plus placé sous son autorité et d’exclure le caractère professionnel du sinistre.