Remise en cause des aides d’Etat par l’UE et principe de sécurité juridique : arrêt RAPA et décision Mory

L’arrêt Rapa, rendu le 16 mars 2016 par le Conseil d’Etat, permet d’évaluer la portée du principe de sécurité juridique s’agissant de la remise en cause d’un régime fiscal de faveur après que ce régime de faveur ait été considéré par la Commission européenne, le 16 décembre 2003, comme constitutif d’une aide d’Etat illégale[1]. La France avait alors pris acte de cette décision et de ce fait, l'article 41 de la loi 30 décembre 2004 a permis de rendre les dispositions de l'article 44 septies du CGI compatibles avec le droit communautaire pour les exercices clos à compter du 16 décembre 2003.

La SAS Rapa a été constituée en 2003 pour reprendre l'activité d’une société en redressement judiciaire. En 2004 et 2005, elle a bénéficié de l’exonération temporaire d'impôt sur les sociétés de l'article 44 septies du CGI (code général des impôts), destinée à stimuler fiscalement les reprises d'entreprises en difficulté. En juillet 2008, cette société fait l'objet d'un contrôle fiscal sur la période 2004 à 2008, à l'issue duquel le vérificateur remet en cause cette exonération au motif que cette exonération avait été appliquée sur la base de l’ancienne version de l’article 44 septies du CGI, entre temps (le 16 décembre 2003) déclarée illégal par l’UE.

C’est en vain que le contribuable a contesté ce redressement en saisissant successivement le tribunal d’Orléans, puis la Cour de Nantes, et enfin le Conseil d’Etat.

1/ Le principe de confiance légitime a été reconnu par la jurisprudence communautaire (Cour de Justice de l’Union Européenne) depuis près de 60 ans comme un principe fondamental de la Communauté. Il interdit aux institutions communautaires de modifier une règlementation sans mettre en œuvre en parallèle des mesures transitoires. C’est le « versant subjectif »[2] du principe de sécurité juridique, lequel induit un minimum de stabilité de l’ordre juridique et de prévisibilité de l’action de l’Etat.

Ici, la société soutenait que sa situation était régie par le droit de l’Union européenne puisqu’elle subissait un redressement fiscal à la suite de la modification d’un article du CGI directement liée à une décision européenne (celle du 16 décembre 2003).

Or, le Conseil d’Etat juge que ce principe ne s’applique qu’aux situations régies directement par le droit communautaire, et non à celles régies par le droit interne (comme ici avec l’article 44 septies du CGI). Bien qu’il reconnaisse que sa situation est certes soumise au respect de la décision de la Commission européenne du 16 décembre 2013, le juge de cassation considère que la situation de la société Rapa n’est pas pour autant régie par celle-ci, mais uniquement par la modification de l’article 44 septies du CGI.

Ainsi, le principe de confiance légitime, et plus largement le principe de sécurité juridique, n'est d'aucun secours pour se protéger contre les conséquences d’un nouveau dispositif de droit interne en matière d’aides d’Etat qui tirerait les conséquences d’une décision de nature communautaire, quand bien même ce nouveau dispositif serait en quelque sorte d'application rétroactive.

2/ Le second moyen de cassation invoqué était le caractère supposé tardif des précisions apportées par l'Administration : elle a publié seulement le 4 mars 2004 une instruction administrative se référant à la décision du 16 décembre 2003, en y explicitant les conséquences immédiates pour les contribuables. Le Conseil d’Etat écarte également ce second argument.

3/ En outre, la SAS Rapa invoquait aussi un argument sur l’espérance légitime d’une créance. Ce principe, né de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), accorde à cette espérance la même protection qu’à un bien. Cet argument a été régulièrement invoqué par des contribuables contestant l’effet rétroactif de certaines mesures législatives. Le Conseil a refusé d'examiner cet argument pour une raison de procédure : ce moyen, parce qu’il n'était pas d'ordre public, ne pouvait pas être invoqué devant le juge de cassation dès lors qu’il n’avait pas été invoqué en première et deuxième instance.

Sur le fond, l’invocation de ce principe, n’est donc sans doute pas exclue. L’invocation de ce principe d’espérance légitime d’une créance pourrait permettre d’éviter d’avoir à recourir au principe de sécurité juridique, dont l’invocation suppose, comme indiqué ci-dessus, la (toujours) complexe détermination du champ communautaire ou interne de la mesure en cause.

4/ Enfin, la société Rapa invoquait une méconnaissance de la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Cet argument est lui aussi rejeté pour une raison de procédure, en raison du non-respect de la procédure relative aux questions prioritaire de constitutionalité (« QPC »).

 

Dans l’affaire Mory, c’est cette fois le droit communautaire de la concurrence qui est visé.

En 2013, la SAS Mory-Ducros fait l’objet d’une procédure de redressement aboutit à un plan de cession le 6 février 2014. Ce plan consistait à reprendre une majorité des actifs pour les regrouper au sein d’une nouvelle société MoryGlobal. Dans le cadre de ce montage, le FDES (Fonds de développement économique et social[3]) consentait alors un prêt de 17,5 millions d’euros à MoryGlobal, et Arcole une somme équivalente dans le capital. Par ailleurs, un plan d’accompagnement était mis en place par le Gouvernement au profit des salariés licenciés. Le 31 mars 2015, MoryGlobal était finalement mis en liquidation.

Parallèlement, en février 2014, la Commission ouvrait une procédure qui aboutit, le 6 novembre 2015, à qualifier toutes ces mesures (à l’exception des contrats de sécurisation professionnelle) d’aides d’Etat au sens de l’article 107, § 1, TFUE. Cette qualification d’aides d’Etat résulte du fait que le plan social de Mory-Ducros a été en partie financé par l’Etat, ce qui profite en définitive à MoryGlobal. N’ayant pas été préalablement notifiées, ces aides sont déclarées illégales.

Elles sont de plus incompatibles dès lors qu’elles ne répondent pas aux conditions posées par les « Lignes directrices concernant les aides d’Etat au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté ».

Dans ces conditions, la Commission ordonne donc la restitution des aides en application d’une jurisprudence constante. Le fait que la société ait été entre temps mise en liquidation est indifférent.

Ainsi, la France doit procéder à la récupération des aides. Comme le remboursement total ne peut être effectif en raison de la liquidation judiciaire survenue depuis lors, la France doit s’assurer de la liquidation effective de MoryGlobal.

En conclusion, si une entreprise en difficulté, qui a bénéficié d’aides incompatibles, fait l’objet d’un plan de cession, les contraintes du droit de la concurrence doivent désormais impérativement être prises en compte par les acheteurs éventuels dans l’organisation des montages, et par les tribunaux dans le choix du repreneur.

 

Guillaume Massé, Associé

 

[1] Avant l’instruction administrative du 4 mars 2004, l’article 44 septies du CGI permettait aux entreprises reprenant une entreprise en difficulté de bénéficier d'exonérations temporaires d'impôt sur les sociétés, de taxe professionnelle et de taxe foncière. Néanmoins la Commission européenne, dans une décision du 16 décembre 2003, a constaté que les aides versées à ce titre n’étaient pas garanties proportionnées (à l’exception de celles admises sur le fondement des règles minimis, de l’encadrement des aides à finalité régionale ou des aides en faveur des PME). Elle a donc ordonné la suppression de ce régime d'aide et la récupération des aides versées illégalement.

[2] CJCE, 6 avril 1962, aff. C-13/61

[3] Le FDES est un compte spécial du Trésor qui permet à l'État de consentir des prêts à des entreprises à des taux inférieurs au marché afin de favoriser le développement économique et social d'une aire géographique, dans le cadre de l'aménagement du territoire.

 



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