Par Thomas KATZ, Avocat Collorateur
La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI siècle a profondément remanié l’organisation du traitement juridictionnel du contentieux de la sécurité sociale.
En effet, en première instance, les juridictions du contentieux général et du contentieux technique de la sécurité sociale sont supprimées et les contentieux transférés à des tribunaux de grande instance spécialement désignés.
En cause d’appel, le contentieux relevant actuellement de la Cour nationale de l’Incapacité et de la Tarification de l’Assurance des Accidents du Travail (CNITAAT) est réparti entre des cours d’appel spécialement désignées, en ce qui concerne le contentieux de l’incapacité, et une cour nationale compétente en premier et dernier ressort en ce qui concerne la tarification.
En application de l’article 109 de la loi précitée, par ordonnance n°2018-358 du 16 mai 2018 (parue au J.O du 17 mai 2018), le Gouvernement a tiré les conséquences de la suppression des juridictions susvisées.
Les principales mesures figurant dans cette ordonnance se présentent ainsi :
1. La confirmation du caractère obligatoire du recours préalable en matière de contestation du taux d’incapacité permanente partielle
- Rappelons que la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 dont l’entrée en vigueur est prévue au plus tard le 1er janvier 2019 a institué, par un nouvel article L.142-5 du Code de la sécurité sociale, un recours préalable au recours contentieux dans le cadre du contentieux technique de la sécurité sociale et a également consacré, par l’insertion d’un nouvel article L.142-6 CSS, la transmission par le médecin-conseil de l’intégralité du rapport médical à l’autorité compétente pour examiner le recours préalable (CPAM).A la demande de l’employeur, ce rapport est notifié au médecin mandaté par lui.
- Les modalités concrètes d’exercice de ce recours préalable seront définies par décret en Conseil d’Etat.A ce jour, le décret en Conseil d’Etat n’étant pas encore intervenu, nous ignorons de quelle manière s’exercera ce recours préalable à la saisine des tribunaux de grande instance spécialement désignés :
Quels délais pour saisir la commission de recours amiable de la CPAM ?La commission de recours amiable sera-t-elle composée d’un médecin ?Dans quel délai la commission de recours amiable sera-t-elle tenue de statuer ?L’absence de décision de la commission de recours amiable dans le délai qui lui sera imparti pour statuer vaudra-t-il rejet implicite du recours (comme le prévoit actuellement l’article R.142-6 CSS) ou acceptation (la loi du 12/11/2013 simplifiant les relations entre l’administration et les citoyens pose le principe que l'absence de réponse de l’administration saisie d’un recours vaut décision d'acceptation) ?
- En l’état, la présente ordonnance confirme l’exigence du recours préalable obligatoire dans le cadre de la contestation du taux d’incapacité permanente partielle en insérant un nouvel article L.142-7-1 CSS, selon lequel la décision rendue sur le recours préalable s’impose à l’organisme de prise en charge.
De quelle décision s’agit-il ? Celle de la commission ou celle du médecin susceptible de siéger au sein de la commission de recours amiable ?
Le décret d’application devrait clarifier ce point.
2. Le recours aux mesures d’instruction et le secret médical
L’ordonnance abroge l’article L.141-2-2 CSS relatif à l’obligation pour le médecin-conseil de la CPAM, en cas d’expertise ordonnée par le TASS, de transmettre les éléments médicaux ayant contribué à la décision, sans que le secret médical puisse lui être opposé.
L’ordonnance consacre un dispositif équivalent à celui prévu par l’article L.141-2-2 CSS en modifiant l’article L.142-10 CSS, issu de la loi du 18 novembre 2016.
La victime de l’AT ou de la MP est informée de la transmission par le médecin-conseil de l’ELSM du « rapport médical ayant fondé sa décision » tant en contentieux technique qu’en contentieux général.
La référence au « rapport médical » apparaît assez floue dans le cadre du contentieux général. Les CPAM ne risquent-elles pas de se fonder sur cette disposition pour refuser d’adresser les certificats médicaux descriptifs en sa possession ?
L’information de la victime de l’AT ou de la MP est également prévue au stade de la transmission du rapport de l’expert. S’agit-il d‘une simple information de la victime ou d’une communication à celle-ci du rapport de l’expert ?
Par ailleurs, l’ordonnance supprime la référence à l’intitulé « Expertise judiciaire » qui figurait à la section V de la loi du 18 novembre 2016 introduisant l’article L.142-10 CSS et la remplace par l’intitulé « Mesures d’instruction ».
Elle laisse ainsi la faculté pour les magistrats de choisir la mesure qui leur semblera la plus adaptée au litige dont ils sont saisis (constatation, consultation, expertise conformément aux dispositions issues du Code de Procédure Civile).
3. Le maintien transitoire de la CNITAAT
L’article 114 de la loi du 18 novembre 2016 prévoyait au plus tard au 1er janvier 2019, le transfert en l’état des procédures en cours devant la CNITAAT, à l’exception du contentieux de la tarification qui continuera à relever d’une cour unique, aux cours d’appel spécialement désignées.
La présente ordonnance remet en cause cette solution et maintient provisoirement la CNITAAT :
La CNITAAT demeure compétente jusqu’au 31 décembre 2020 pour connaître des procédures introduites avant le 31 décembre 2018. Un décret pourra reporter cette date, sans pouvoir dépasser le 31 décembre 2022.
Le maintien transitoire de la CNITAAT va contribuer à la coexistence de deux régimes :
Les instances initiées avant le 31/12/2018 seront traitées par la CNITAAT ;Les instances initiées à compter du 01/01/2019 seront examinées par les cours d’appel désignées par décret.
Cette survie de la CNITAAT répond au souhait exprimé par Monsieur MELIN, président en exercice de cette juridiction (cf. discours prononcé lors de l’audience solennelle de rentrée de la CNITAAT 2018), et devrait permettre à la Cour d’épurer son stock considérable de dossiers (environ 19.000 dossiers en 2018).
Toutefois, on peut y voir le risque d’une inégalité de traitement pour le justiciable : Les cours d’appel spécialement désignées appliqueront-elles les règles de procédure particulières régissant le fonctionnement de la CNITAAT (procédure hybride) ?
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