Délit d’initié, manquement d’initié : la fin du cumul de sanctions !

Par Sandra Corcos, Fatima Khachani et Amélie Woltrager

 

L’articulation des sanctions du manquement d’initié, de nature administrative, et du délit d’initié au fondement pénale, a longtemps suscité de nombreuses interrogations et un réel débat chez les professionnels du droit. Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 18 mars 2015 est venu apporter un éclairage très attendu à une problématique vieille de vingt-cinq ans.

Saisi de trois questions prioritaires de constitutionnalité par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a donc tranché  la question du cumul de sanctions prononcées sur le fondement d’un délit d’initié et du manquement d’initié et rappelle ainsi le principe affirmé il y a près d’un an par la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Le 4 mars 2014, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans une affaire Grande Stevens et autres c./ Italie, avait en application du principe non bis in idem issu de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, condamné l’Italie pour avoir elle-même condamné des personnes à plusieurs sanctions pour manipulation de marché.

Pour mémoire, le délit d’initié et le manquement d’initié sanctionnent le comportement d’une personne physique ou morale qui, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, et avant toute information du public, a connaissance d’informations privilégiées sur la situation et/ou les titres d’une société et les communique et/ou réalise sciemment des opérations. Le délit d’initié est sanctionné d’une peine d’emprisonnement et d’une amende, le manquement d’initié fait l’objet quant à lui d’une sanction pécuniaire sur le fondement des articles L. 465-1 et L. 621-15 du Code monétaire et financier.

Pour refuser le cumul de sanctions fondées sur le délit d’initié et le manquement d’initié, le Conseil constitutionnel rappelle le principe de nécessité des délits et des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. A la lumière de ce texte, des faits uniques commis par une même personne peuvent faire l’objet de poursuites distinctes sous réserves que les sanctions soient de nature différente et que les corps de règles et juridictions soient distincts.

Interprétant ce principe, le Conseil constitutionnel a procédé à un examen de la question à l’appui de quatre critères, que sont : (i) la définition des dispositifs étudiés, (ii) la finalité de la répression, (iii) les sanctions et (iv) la possibilité de sanctionner le comportement sur l’un des fondements lorsque l’autre fait défaut.

L’identité des définitions, la proximité entre les finalités poursuivies par les deux fondements (protection des investisseurs / protection de l’épargne investie), la similitude des sanctions prononcées et la possibilité d’agir sur le fondement du délit d’initié lorsque les conditions du manquement d’initié ne sont pas réunies ont justifié le refus du cumul de sanctions et l’abrogation des textes susvisés.

Cette décision permet ainsi de prévenir la double sanction d’une personne pour des mêmes faits qui ne serait pas justifiée par une finalité distincte, en application du principe de nécessité des délits et des peines. Le législateur devrait consacrer ce principe en matière de délit et manquement d’initié prochainement.