Google n’est pas imposable en France !

Le 12 juillet 2017, le Tribunal administratif de Paris a rendu des jugements[1] relatifs à la société irlandaise Google Ireland Limited (GIL), filiale du groupe américain Google Inc. Ces jugements apportent d’instructives précisions sur la notion d’établissement stable, dont l’absence en France permet à Google Ireland de ne pas y être imposable, de 2005 à 2010.

Google Ireland commercialise (notamment) en France un service payant d’insertion d’annonces publicitaires en ligne, « AdWords ». Corrélé au moteur de recherche Google, Adwords permet à tout annonceur situé en France, par référencement préalable de mots-clés, de commander l’apparition à l’écran - lorsque la requête adressée par un internaute au moteur de recherche Google contient ce ou ces mots clés - d’un lien promotionnel accompagné d’un message publicitaire. Ce message publicitaire s’affiche alors sur l’écran, en supplément des résultats générés spontanément par le moteur de recherche Google. Ce service payant de référencement est facturé à l’annonceur à raison de chaque clic d’internaute sur le lien promotionnel, son prix prenant également en compte le coût maximal par clic que l’annonceur a, lors de la conclusion de son contrat de référencement, fixé avec Google. En outre, plusieurs annonceurs pouvant sélectionner les mêmes mots-clés, un système automatisé d’enchères effectue en temps réel la sélection et l’ordre d’affichage des annonces en concurrence, déterminés (notamment) en fonction du coût maximal par clic susmentionné, du nombre de clics antérieurs sur les liens concernés ainsi et de la qualité des annonces (évaluée par Google).

Google Ireland était présent en France à travers la société française Google France (GF), également contrôlée par Google Inc., laquelle entité française fournit, aux termes d’un contrat conclu avec GIL, une assistance commerciale et conseil à la clientèle française de GIL, constituée d’annonceurs ayant souscrit à son service « AdWords ».

L’intérêt de ces deux jugements est leur description très détaillée des circonstances de fait à prendre en compte pour qualifier ou non un établissement stable en France. Ils fixent les limites que doit respecter en France une société étrangère ayant pour activité le commerce électronique pour ne pas y être fiscalisée. 

Pour l’impôt sur les sociétés, le tribunal rappelle que l’existence d’un tel établissement stable est subordonnée à deux conditions cumulatives : la dépendance de GF vis-à-vis de GIL et le pouvoir de GF d’engager juridiquement GIL. Or, le juge estime que GF ne pouvait engager juridiquement GIL car les salariés de GF ne pouvaient procéder eux-mêmes à la mise en ligne des annonces publicitaires commandées par les clients français. En effet, tout contrat et toute commande devaient, en dernier ressort, faire l’objet d’une validation définitive en Irlande, laquelle validation conditionnait en droit l’effectivité des contrats commerciaux conclus. Le juge réfute ainsi l’allégation de l’Administration selon laquelle la société Google Ireland Ltd serait nécessairement et systématiquement engagée par un contrat issu des discussions entre les clients de Google (les annonceurs) et les salariés de la SARL Google France. 

Pour la TVA, le juge estime que Google n'avait en France :

ni les moyens humains permettant aux salariés concernés d’être en mesure de rendre possibles, à eux seuls, et, partant, de manière autonome, les prestations de publicité facturées par la société requérante, dès lors qu’ils n’y concourent qu’au travers des fonctions de prévente et d’après-vente ;ni les moyens techniques.

S’agissant de ces moyens techniques, pour motiver sa décision au regard de la TVA, le juge relève que :

les serveurs hébergeant le site internet « google.fr », les centres de données exploités par le moteur de recherche Google et la plateforme informatique gérant ce dernier sont hors de  France ;les « switch routeurs » (qui sont des « passerelle[s] entre plusieurs serveurs pour que les utilisateurs accèdent facilement à toutes les ressources proposées sur le réseau ») et les « backbones » (qui sont un « réseau central très rapide qui connecte une multitude de petits réseaux ») situés en France sont des équipements auxiliaires ayant pour seule fonction d’améliorer le routage des informations produites par les serveurs étrangers, et ne permettant pas, en tant que tels, les prestations de services d’enchères publicitaires aux clients ;le local sécurisé et les prestations de surveillance et de maintenance de matériel informatique (eux aussi) situés en France sont des équipements (également) afférents au seul routage des informations, dans le but d’obtenir un temps de disponibilité maximal, mais ne se rapportant pas à la réalisation d'activités en France.

Ces jugements sont de nature à rassurer les entités étrangères qui commercialisent actuellement leurs produits ou services en France par l’intermédiaire d’un agent dépendant. Ils légitiment les entreprises de l’internet, qui, comme Google ou Apple, insistent sur le fait qu'une partie de leurs activités commerciales découlent de leur technologie, mise au point par des ingénieurs un peu partout dans le monde, et en particulier aux Etats-Unis, et d'équipes commerciales qui ne sont basées que très partiellement en France, d'autres étant situées, par exemple, à leur siège européen.

Toutefois, le sujet n’est pas pour autant définitivement clos et doit, pour le futur, être envisagé à la lumière des travaux issus du projet BEPS[2] initié par l’OCDE, dont l’action 7 avait pour objet d’ « empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable ».

En effet, cette action 7 a débouché en 2015 sur une proposition de modification du paragraphe 5 de la convention modèle OCDE pour redéfinir la notion d’établissement stable en incluant désormais sous cette qualification :

« les personnes qui concluent habituellement des contrats qui sont au nom de l’entreprise ou qui doivent être exécutés par l’entreprise, ou qui jouent habituellement le rôle principal menant à la conclusion de tels contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise ».

Cette nouvelle définition sensiblement élargie du concept du concept d’établissement stable est également intégrée à l’article 12 de la convention multilatérale signée à Paris le 7 juin 2017. Or, la France a retenu cet article 12, ce qui signifie qu’elle entend le faire prévaloir sur les définitions qui figurent actuellement dans les conventions fiscales bilatérales dont elle est signataire.

A terme, pour l’application de ses conventions fiscales bilatérale, la France devrait donc substituer cette nouvelle définition de ce qu’est un établissement stable, à celles en vigueur, qui, à l’instar de celle de la convention fiscale France Irlande qui fonde les présents jugements, sont favorables aux entreprises étrangères, y inclus les géants de l’internet et du commerce électronique.

Toutefois, ne pouvant être décidée unilatéralement, l’application de cette nouvelle définition de l’établissement stable ne pourra devenir effective que si l’autre pays partie à la convention bilatérale concernée choisit également d’appliquer l’article 12 de la convention multilatérale.

Dans cette attente, la solution libérale de ces jugements Google devrait donc prospérer encore quelques temps.

L’Etat a fait appel.

 

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[1] TA Paris, 12 juillet 2017, Google France, n° 1505178 (IS) et n° 1505165 (TVA)

[2] Base erosion and profit shifting signifiant érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices

 



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