Par Valérie Scetbon, avocat associée, et Noam Marciano, Avocat of Counsel
« La consécration jurisprudentielle d’une obligation de justification renforcée à la charge du service du contrôle médical de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie dans ses rapports avec les employeurs »
Les employeurs sont bien souvent amenés à contester les décisions prises par les Caisses Primaires d’Assurance Maladie, générant ainsi un contentieux abondant, donnant à la Cour de Cassation l’occasion de préciser sa jurisprudence.
La Cour de Cassation a rendu, le 18 décembre dernier, un arrêt particulièrement intéressant relatif au contentieux technique de la sécurité sociale.
Cet arrêt concerne plus précisément la communication par le médecin conseil du contrôle médical de la Caisse, au médecin consultant du Tribunal et au médecin conseil de l’employeur, du rapport médical ayant contribué à la fixation du taux d’incapacité permanente partielle (appelé « Rapport d’Evaluation des Séquelles»).
Les fondements textuels de cette obligation à la charge du médecin conseil du contrôle médical de la Caisse sont les articles L. 143-10 (issu de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009) et articles R. 143-32 et R. 143-33 du code de la sécurité sociale (issus du décret intervenu le 28 avril 2010).
L’article L. 143-10 du code de la sécurité sociale prévoit la transmission par le service du contrôle médical de « l’entier rapport médical » ayant contribué à la fixation du taux d’incapacité de travail permanente et l’article R 143-33 du même code dispose que :
« L’entier rapport médical mentionné à l’article L. 143-10 comprend :
1° L’avis et les conclusions motivées données à la caisse d’assurance maladie sur le taux d’incapacité permanente à retenir ;
2° Les constatations et les éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé. »
En dépit du caractère clair des dispositions précitées, force est de constater que les juridictions du contentieux technique de la sécurité sociale en faisaient une application très et sûrement trop extensive.
En effet, les Juges toléraient sans difficulté que le Rapport d’Evaluation des Séquelles ne soit pas accompagné d’une copie des pièces médicales ayant permis de le constituer mais se contente d’une seule référence auxdites pièces.
En pratique, le Rapport d’Evaluation des Séquelles faisait donc état d’une simple reprise des « constatations et éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé ».
Bien que la procédure s’inscrive dans le cadre des dispositions de l’article L. 143-10 du code de la sécurité sociale, les Juges n’exigeaient pas que le médecin conseil de la Caisse transmette, en plus du Rapport d’Evaluation des Séquelles, les constatations et éléments d’appréciation sur lesquels son avis s’est fondé (compte-rendu opératoire, imagerie médicale ....). En tous cas, il n’était tiré aucune conséquence de sa carence !
Par son arrêt rendu le 18 décembre 2014 (Cass. 2ème civ. 18 décembre 2014, n° 13-25714, publié au Bulletin), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation marque sa volonté de mettre un terme à cette pratique, pour le moins laxiste, et de vouloir faire respecter les droits des employeurs !
La Cour rappelle les dispositions des articles L. 143-10 et R. 143-33 du code de la sécurité sociale, en retenant :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’entier rapport médical défini par l’article R. 143-33 du code de la sécurité sociale comprend, d’une part, l’avis et les conclusions motivées données à la caisse d’assurance maladie sur le taux d’incapacité permanente à retenir, d’autre part, les constatations et les éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé, de sorte que l’ensemble de ces documents devaient être communiqués selon les modalités fixées par l’article L. 143-10 du même code, la Cour nationale a violé les textes susvisés ».
Il est très clair que, par cet arrêt, la Haute Cour impose la transmission non seulement du rapport médical mais également de toutes les pièces médicales ayant permis au médecin conseil de rendre son avis.
En d’autres termes, outre la transmission du Rapport d’Evaluation des Séquelles, le médecin conseil de la Caisse devra transmettre les « constatations et les éléments d’appréciation sur lesquels l’avis s’est fondé », sans qu’il puisse se retrancher derrière le secret médical pour justifier un défaut de transmission.
Dans ce contexte, il appartiendra donc au médecin conseil de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de veiller scrupuleusement à ne citer, dans le Rapport d’Evaluation des Séquelles, que les éléments susceptibles d’être communiqués par ses soins devant les juridictions du contentieux technique de la sécurité sociale.
Tout à fait logiquement, à défaut de production de ces éléments dans le cadre des recours employeurs formés devant le contentieux technique de la sécurité sociale, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie devra assumer la carence fautive de son service médical et encourir l’inopposabilité de la décision attributive de rente au bénéfice de l’employeur après avoir été invitée par le juge, le cas échéant, à régulariser ce défaut de transmission.