La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière décryptée.


Guillaume Massé est avocat à la Cour. Il intervient comme conseil sur des opérations  de restructuration d’entreprise et de réorganisation de patrimoine, et pratique le contentieux fiscal.


 


Issue de l’affaire dite « Cahuzac » et débattue au Parlement depuis l’été 2013, la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (Loi n°2013-1117), a été définitivement votée le 5 novembre 2013. Elle est en vigueur depuis le 8 décembre 2013. Cette loi fleuve (61 articles) a trait à des domaines très variés puisqu’intéressant (i) les conditions de poursuite pour fraude fiscale, (ii) le droit de communication de l’Administration vis-à-vis des tiers (pour recouper les informations recueillis lors du contrôle du contribuable), (iii) l’utilisation (sous condition) de renseignements d’origine illicite, (iv) le délai de reprise en cas de demande d’assistance internationale (coopération inter-Etats), (v) le déroulement des contrôles fiscaux, (vi) les obligations déclaratives des contribuables, (vii) le recouvrement de l’impôt, (viii) le contentieux, et (ix) enfin un ensemble de mesures fourre-tout (holdings, échange automatique des données entre Etats, etc). Ses principales dispositions fiscales, ainsi que celles censurées le 4 décembre par le Conseil Constitutionnel (Décision n°2013-679), sont exposées ci-dessous.


 


1. Fraude fiscale aggravée : renforcement des cas d’intervention de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF)


La procédure judiciaire d’enquête fiscale offre aux Officiers fiscaux judiciaires (OFJ) du Ministère de l’Intérieur, habilités à cet effet par le Parquet, des techniques d’investigation spéciales exorbitantes du droit commun, dites de Police fiscale.


 


La procédure judiciaire d'enquête fiscale peut notamment être mise en œuvre lorsque l'infraction résulte (i) de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents, ou de toute autre falsification, (ii) d'une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ou (iii) ou de toute autre manœuvre destinée à égarer l'Administration. Cette procédure est aussi applicable lorsque l'infraction résulte (i) de l’utilisation, aux fins de se soustraite à l’impôt, de comptes bancaires ouverts ou de contrats souscrits dans un Etat ou territoire non coopératif, ou (ii) de l’interposition dans ces mêmes Etats de personnes physiques ou morales (société, fiducie, organismes divers).


L'article 9, II de la présente loi généralise le champ d'application de la procédure à l'ensemble des cas d'utilisation de comptes ou de contrats détenus à l'étranger et d'interposition de personnes ou entités établies à l'étranger, qu'il s'agisse d'Etats coopératifs ou non coopératifs.


 


2. Fraude fiscale  aggravée : élargissement des cas et alourdissement des sanctions correctionnelles


Les circonstances considérées comme aggravantes du délit de fraude fiscale sont élargies pour inclure désormais les faits qui ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen (i) de comptes bancaires ou de contrats souscrits à l’étranger, (ii) de personnes établies à l’étranger, (iii) de l’usage d’une fausse identité, de faux document ou de toute autre falsification, (iv) d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ou (v) d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle. Les sanctions sont portées jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et une amende pénale de 2 millions d’euros.


 


3. Autorisation pour l’Administration d’exploiter les informations reçues, qu’elle que soit leur origine


Le Conseil Constitutionnel valide les articles 37 et 38 autorisant l’utilisation des informations, pièces ou documents même d’origine illicite dès lors qu’ils auront été communiqués à l’Administration soit par une autorité judiciaire, soit dans le cadre d’une assistance administrative internationale. Toutefois, il fait une réserve (censure partielle) de l‘article initial en exigeant que les conditions d’obtention des éléments ainsi recueillis et utilisés par l’Administration ne soient pas ultérieurement déclarées illégales par le juge.


 


4. Possibilité de saisies simplifiées en vue du recouvrement d’une créance d’impôt sur les sommes rachetables d’un contrat d’assurance-vie


On observera avec attention comment cette disposition devra se combiner avec le droit de propriété que détient l’assureur sur les actifs figurant dans le contrat d’assurance-vie.


 


5. Repentis fiscaux


Réduction de moitié de la durée de la peine privative de liberté encourue par l’auteur ou le complice d’une fraude fiscale si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, il a permis d’identifier les autres auteurs ou complices.


 


Renforcement des moyens du contrôle fiscal et douanier


 


6. Droit du juge d’autoriser des visites domiciliaire sur la base d’information illicites


Le Conseil Constitutionnel déclare illégal l’article 40, qui offrait au juge la faculté, à titre exceptionnel, d’autoriser l'Administration à procéder à des visites domiciliaires sur la base de toutes les informations qu'elle reçoit, quelle qu'en soit l'origine, c'est-à-dire y compris celles obtenues dans des conditions illicites, dans l’hypothèse où l’utilisation de ces informations serait apparue au juge comme proportionnée à l'objectif recherché. En effet, le Conseil considère que le Législateur, en permettant à un magistrat d’autoriser une telle visite domiciliaire, sur la base de documents ou d’informations illicites, prive de garanties légales le droit au respect de la vie privée, en particulier l’inviolabilité du domicile.


 


7. Autorisation de prise de copies des fichiers


L’Administration est désormais autorisée à prendre copie des documents dont elle a connaissance dans le cadre de procédure de contrôle externe, l’opposition du contribuable étant sanctionnée par une amende de 1 500 € par document refusé, sans que le total des amendes ne puisse toutefois excéder 10 000 €. Cette nouvelle disposition soulève, entre autres questions, celle de son applicabilité en cas de contrôle inopiné. Bien que les agents de l’Administration soient couverts par le secret professionnel, un arrêté du Ministre du Budget prévoira les modalités de la sécurisation des copies de documents sous forme dématérialisée faites à l’occasion de l’exercice de ce nouveau droit.


 


8. Prise de copie des comptabilités informatisées lors d’un contrôle inopiné


Pour éviter toute modification ou suppression des fichiers comptables informatisés, l’Administration est désormais en droit lors d’un contrôle inopiné de réaliser deux copies placées sous scellés, l’une qu’elle conserve, l’autre qu’elle remet au contribuable. Ensuite, en cas de non présentation par le contribuable ou d’altération des scellés émanant de sa part, l’Administration sera alors en droit, à partir de sa copie, d’effectuer toutes opérations de tri, classement, calcul et traitement nécessaires pour la mise en œuvre de son contrôle.


 


9. Activité occulte : extension de la durée du contrôle fiscal


Les contribuables exerçant leur activité de manière occulte sont désormais exclus du bénéfice de la garantie limitant à trois mois la durée de la procédure de vérification de comptabilité.


 


10. Sociétés holdings


Les sociétés holdings dont le portefeuille titre atteint ou excède 7.6 M€ ne bénéficient plus de la mesure obligeant l’Administration à répondre dans un délai de 60 jours à leurs observations.


 


11. Extension du droit d’examen des relevés de comptes étrangers


Cette procédure est désormais possible, sans avoir à engager une procédure de contrôle externe (vérification de comptabilité ou examen de situation fiscale personnelle), en cas de relevés de comptes transmis spontanément par un tiers, par exemple par l’autorité judiciaire. Dans une perspective à court terme d’échange automatique d’informations entre états devenant le standard, cette modification procédurale devrait avoir des répercussions importantes.


 


Renforcement des obligations déclaratives nécessaires au contrôle fiscal et de leur effectivité


 


12. Renforcement des sanctions pour défaut de déclaration auprès du fichier des comptes bancaires (FICOBA)


 


13. Trust : renforcement des obligations déclaratives


Les obligations déclaratives des administrateurs de trusts sont renforcées par la création d’un régime public des trusts et par l’extension de l’obligation de déclaration des constitutions, modifications et extinctions de trusts aux administrateurs domiciliés en France (quand bien même constituants, bénéficiaires et actifs seraient tous hors de France). Par ailleurs, l’amende assise sur l’actif du trust pour non déclaration annuelle des actifs du trust passe de 5 à 12,5 % de l’actif du trust.


 


14. Renforcement des sanctions pour manquement d’une société aux obligations déclaratives relatives à ses actionnaires et à ses participations


Pour chaque manquement constaté après une mise en demeure, la sanction sera de 1 500 € ou de 10 % des droits rappelés, si ce dernier montant est plus élevé.


 


15. Prix de transfert : obligation documentaire


Désormais, les (grandes) entreprises assujetties à l’obligation de tenir à disposition de l’Administration une documentation justifiant la politique de prix de transfert devront transmettre spontanément à l'Administration une partie de la documentation permettant de justifier leur politique de prix de transfert, dans les six mois suivant leur déclaration de résultat.


 


Renforcement des sanctions


 


16. Allongement de 3 à 6 ans du délai de prescription des infractions pénales en matière fiscale


 


17. ISF : défaut de dépôt de déclaration avec des actifs étrangers


Relèvement de 10 à 40 % de la pénalité applicable au défaut de production de la déclaration d'ISF lorsque des actifs ont été dissimulés à l'étranger et que leur déclaration conduit à rendre le contribuable redevable de l'ISF. Cette mesure tend à aligner la pénalité sanctionnant la situation du primo déclarant sur celle du contribuable déjà assujetti. En effet, auparavant les contribuables déjà déposants bénéficiaient d’une pénalité de 40% quand ceux n’ayant même pas déposé de déclaration avait une pénalité, paradoxalement, limitée à 10%.


 


18. Logiciels de comptabilité et de caisse frauduleux


La lutte contre la commercialisation et l’utilisation de logiciels de comptabilité et systèmes de caisses frauduleux permettant la dissimulation de recettes est renforcée avec l’obligation de conserver et de communiquer sur sa demande à l’Administration tous codes, données, traitements et documentations s’y rattachant incombant désormais aux concepteurs et éditeurs de logiciels, ainsi qu’aux personnes intervenant techniquement sur ces produits. A défaut, éditeur et distributeur de tels produits pourront être lourdement sanctionnés par une amende pouvant atteindre jusqu’à 15% du chiffre d’affaires.


 


Amélioration des moyens de lutte contre la fraude fiscale internationale


                                                               


19. Liste des états et territoires non coopératifs (ETNC)


Est déclaré inconstitutionnel l’article qui prévoyait l’extension de la liste des Etats et territoires non coopératifs (ETNC) aux Etats et territoires qui, à compter du 1er janvier 2016, ne se seraient pas engagés sur la voie de l'échange automatique d'informations. Parce qu’aucun état n’a, à ce jour, encore conclu avec la France un tel accord bilatéral, les contribuables résidents de France ayant des relations avec ces états auraient subi par rapport aux autres résidents une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Toutefois, on peut penser que l’échange automatique des données reviendra dans un projet législatif futur, tant cette norme semble, au vu notamment des relations diplomatiques des derniers mois, appelée à devenir le standard pour l’avenir.


 


20. Délai de reprise de l’Administration : prorogation en cas de demande d'assistance administrative internationale


Dans ce cas, la période pendant laquelle les omissions ou insuffisances d’imposition peuvent être rectifiées expire (i) comme auparavant à la fin de l’année qui suit celle de la réception de la réponse à la France de l’administration étrangère, ou (ii) désormais le 31 décembre de la 3ème année suivant l’année au titre de laquelle le délai initial de reprise (souvent la fin de la 3ème année suivant celle de l’imposition) est expiré.


 


21. Allongement de la prescription de l'action en recouvrement


 


Allongement du délai de 4 à 6 ans contre les contribuables établis dans des Etats avec lesquels la France n’a pas conclu d’assistance internationale au recouvrement. Pour mémoire une Directive communautaire prévoit une assistance au recouvrement, ce qui exclut de cette prescription allongée tous les états membres de l’UE.  


 


22. Réduction du délai de réclamation pour les actions fondées sur la non-conformité d’une règle de droit à la règle supérieure


Les actions fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, révélée par une décision juridictionnelle ou par un avis contentieux, se prescrivent désormais sans distinction selon les impôts concernés, à compter de la mise en recouvrement, du versement de l’impôt contesté ou de la naissance du droit à déduction.


 


Pour mémoire, depuis une loi du 29 décembre 2012, l’intervention d’une décision de justice révélant la non-conformité d’une règle de droit ne constitue plus un événement de nature à rouvrir un délai de réclamation avec une période répétible. Cette réforme de fin 2012 faisant suite à de très nombreux contentieux consécutifs à la réouverture du délai souvent très coûteux pour les finances publiques. 


 




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