La nouvelle obligation d'information des salariés en cas de cession de contrôle des entreprises Small et Mid Cap

Etude rédigée par Sandra CorcosAvocat Associée Marvell - Département M & A

En vue de faciliter la reprise des PME par ses salariés, la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 (publiée au Journal Officiel du 1er août 2014) relative à l’économie sociale et solidaire, plus communément appelée « loi Hamon »,  a institué[1] un droit d’information directe et préalable de tous les salariés concernant tout projet de cession d’un fonds de commerce ou de la majorité du capital d’une société sanctionné par la nullité de la cession en cas de non-respect.

 

L’article 19 de la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 est relatif à l’information des salariés préalablement à la cession d’un fonds de commerce tandis que l’article 20, qui nous intéresse plus particulièrement, traite de l’information des salariés en cas de cession de parts sociales, d’actions ou de valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital. L’objectif de cette disposition est de faciliter la reprise de l’entreprise par ses salariés.

Cette loi prévoit qu’en cas de projet de cession de la majorité du capital d’une société comptant moins de 50 salariés ainsi que dans les entreprises soumises à l’obligation de mettre en place un comité d’entreprise [2] et se trouvant dans la catégorie des petites et moyennes entreprises [3], le représentant légal est tenu d’informer les salariés sans délai et au plus tard deux mois avant la cession de ce que le propriétaire d'une participation représentant plus de 50 % de parts, d'actions ou de valeurs donnant accès à la majorité du capital veut les céder[4].

La loi vise les parts sociales de SARL, les actions et les valeurs donnant accès au capital d'une société par actions (SA, SAS). Ne sont donc pas concernées par la loi : les cessions des sociétés civiles, des sociétés en nom collectif et des sociétés en commandite.

Ces nouvelles dispositions reposent sur l’idée que « la non transmission d’entreprises saines est une source croissante de pertes d’emplois. De nombreuses entreprises cessent en effet leur activité faute de repreneurs. Si les « pépites » très rentables trouvent facilement preneurs, le propriétaire d’une entreprise faiblement rentable a peu d’offre de reprises… Dans ce contexte, la reprise par les salariés peut-être une solution pour préserver la viabilité de l’entreprise et assurer la pérennité de l’activité et de l’emploi »[5].

Si l’objectif de transmission d’une entreprise à ses salariés peut apparaître de prime abord comme louable, on peut néanmoins s’étonner de l’insertion de telles dispositions dans la loi relative à l’économie sociale et solidaire alors même que l’économie sociale se définit de façon distincte de l’entreprenariat capitaliste et recoupe en principe uniquement : les mutuelles, les coopératives, les associations auxquelles s'ajoutent les "marges" (i/e comité d'entreprise et d'établissement, caisse d'épargne et de prévoyance, organisations culturelles…)[6].

Ces nouvelles dispositions pourraient s’analyser comme une formalité supplémentaire pesant sur les entrepreneurs. D’autant que la  sanction qui est prévue par la loi est sévère puisque la cession qui interviendrait en méconnaissance de ce dispositif d’information peut être annulée à la demande de tout salarié[7][8].

En outre, on s’interrogera sur l’utilité de cette mesure qui peut être de nature à dissuader un peu plus des investisseurs notamment étrangers. En effet, certains investisseurs  pourraient juger le nouveau mécanisme d’acquisition trop contraignant pour la gestion du processus et ne permettant pas d’assurer la confidentialité nécessaire aux négociations et ce malgré l’obligation de discrétion dont sera tenu chacun des salariés[9].

Ce droit d’information s’appliquera aux cessions conclues trois mois au moins après la date de publication de la loi[10], soit à partir du 1 novembre 2014.

Le décret d’application a tardé à venir. Il a été publié au journal Officiel le 29 octobre 2014[11]

Outre les difficultés d’interprétation de cette disposition de droit transitoire aux opérations en cours, et aux interrogations quant aux modalités de l’information que le décret ne précise que partiellement), cette loi a un domaine d’application incertain quant aux entreprises (I) et aux opérations concernées (II).

I. Un domaine d'application incertain quant aux entreprises concernées

La loi Hamon précise que l'obligation d'informer les salariés est applicable aux cessions de participations détenues dans les entreprises de moins de 50 salariés ainsi que dans celles soumises à l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise[12] et se trouvant à la clôture de leur exercice dans la catégorie des petites et moyennes entreprises au sens de l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie[13].

A priori, cette nouvelle réglementation ne semble concerner que les PME. En effet, les entreprises qui emploient plus de 250 salariés sont exclues du dispositif. Il en est de même pour les entreprises qui, bien qu’employant 50 à 249 salariés, ont un total de bilan qui excède 43 millions d'euros ou un total de chiffre d'affaire qui excède 50 millions d'euros.

1. Absence d’indication de la catégorie de salariés à prendre en compte

La loi Hamon ne donne pas d’indication s’agissant des catégories de salariés devant être pris en compte pour le calcul. En particulier, la loi ne précise pas s’il s’agit uniquement des salariés de droit français ou si les salariés de la société employés hors de France notamment via une succursale étrangère seront pris en compte ou non.

En théorie, du fait du principe de territorialité, les salariés des succursales étrangères ne devraient pas être pris en compte.

De même, la loi n’indique pas s’il convient de tenir compte des salariés employés bénéficiant d’un contrat de travail à durée déterminée.

2. Des difficultés d’application quant aux holdings

On s’interrogera également sur l’application des dispositions de cette loi aux sociétés holding qui n'emploieraient aucun salarié mais dont les filiales auraient des salariés ou (ii) à une holding qui n'emploierait qu'un seul salarié.

A priori, il conviendrait de retenir une application littérale du texte de la loi. Dès lors, la loi ne s’appliquerait pas à la cession d’une holding de tête qui n’emploierait aucun salarié mais à l’inverse elle s’appliquerait dès lors que la holding emploie plus d’un salarié.

A priori, le droit d’information ne trouverait pas à s’appliquer lorsque la cession d'une entreprise se fait au travers de la cession des titres de la société holding de contrôle.

La loi pourrait également trouver à s'appliquer dans un processus d'offre publique d'achat ou d'échange notamment sur une holding qui emploierait moins de cinquante salariés.

Ainsi et bien que nous comprenons qu’il ne s’agit pas de l’esprit de la loi, cette nouvelle réglementation pourrait trouver à s’appliquer dans le cadre d’opérations significatives notamment en cas de rachat d’une holding comportant moins de cinquante salariés mais qui détiendrait une ou plusieurs filiales au-dessus des seuils ou dans le cadre de transactions internationales incluant le rachat d’une société en France.

II. Un domaine d'application incertain quant aux opérations concernées

S'agissant du domaine d'application de ce droit d’information, la loi précise utilement qu’il ne s’applique pas (i) « en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession du fonds ou de la participation à un conjoint, à un ascendant ou à un descendant[14] » ou (ii) « aux sociétés faisant l'objet d'une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire régies par les dispositions du livre VI du Code de commerce »[15].

1. Incertitude quant à l’application à certaines opérations de restructurations internes

La loi ne précise pas ce qu’il en est de ce droit d’information dans le cadre d’une opération de restructuration interne au sein d’un groupe dès lors que l'opération porte sur plus de 50 % du capital.

Le droit d’information doit-il s’appliquer dans le cadre des opérations de cession entre sociétés d’un même groupe telles que dissolution sans liquidation, fusion, scission ou apports d’actif tel que des actions ?

Au regard de l’examen des motifs de la loi Hamon, ce n’est certes pas la volonté qui a été recherchée par le législateur. Toutefois, certains salariés pourraient contester certaines opérations aux motifs qu’elles entraînent le démantèlement de leur société.

La doctrine [16] considère qu’au vu de la jurisprudence, l'apport n'est pas assimilable à une cession[17]. Il en va de même pour les opérations assorties de la transmission universelle du patrimoine qui, selon une jurisprudence constante, ne sont pas réductibles à une simple cession.

2. Incertitude quant à son application aux cessions de bloc de contrôle

La question se pose en cas de cession d’un bloc de contrôle notamment lorsque le cédant cède ses titres à un acheteur qui détient déjà un certain pourcentage de la société et que cette opération le fait passer au-delà du seuil de 50 %. Le texte de la loi semble clair sur ce point puisqu’il fait référence au: «propriétaire d'une participation représentant plus de 50  ... ».

De même, le texte de la loi est clair sur le fait que la cession ne pourra être le fait que d'un seul cédant[18].

En conséquence, la cession pour un total excédant 50 %, même opérée de concert ou par les membres d’un groupe familial, ne saurait susciter le déclenchement de l'obligation d'information des salariés.

Parmi les interrogations que l’on peut se poser, quel serait le régime d’une cession progressive et échelonnée dans le temps prévoyant une cession in fine d’une participation représentant un total de plus de 50 % du capital. Afin de contourner cette obligations d’informations, certaines parties pourraient être tenté d’utiliser cette modalité de cession.

3. Incertitude quant à la notion de valeurs mobilières

La doctrine[19] considère que  la référence dans le texte de la loi Hamon  aux valeurs mobilières donnant accès au capital d'une société en actions serait, elle aussi, une source de difficultés s’agissant de valeurs composées qui seraient susceptibles d'entraîner un transfert potentiel de plus de 50 % du capital social.

Conclusion

Ce texte a fait l’objet de critiques fortes de la part des milieux patronaux. Huit organisations syndicales dont le Medef ont adressé le 10 octobre dernier un courrier à la secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire pour leur faire part de leur inquiétude avant la publication attendue des décrets d’application de cette loi.

Il est un fait : le cédant conserve la liberté de céder sa participation au tiers de son choix, et la liberté d'entreprendre et le droit de propriété n’ont pas été touchés. Mais, on regrettera finalement une réglementation aux contours flous et incertains, à la sanction sévère, qui risque d’être inadaptée au but initial recherché : offrir la possibilité aux salariés d’acquérir sous la forme de coopérative une entreprise faiblement rentable et donc ayant peu de chance de retrouver un tiers acquéreur.

La généralisation de ce droit d’information à l’ensemble des cessions risque de renforcer auprès des investisseurs étrangers l’image  d’une législation sociale compliquée.

 

[1] Art. 19 de la Loi 2014-856 du 31 juillet 2014 a modifié les dispositions des Sections 3 et 4 (Art. L 141-23 à L 141-32 C. com. et Art. 20 qui introduit un chapitre X au titre III intitulé « De l’information des salariés en cas de cession de leur société ».

[2] C. trav. Art. L2322-1

[3] Art. 51 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008

[4] Art. L. 23-10-1 C. com.

[5] Exposé des motifs de la loi

[6] Certains parlementaires avaient proposé que les salariés bénéficient d’un droit prioritaire d’acquisition de leur entreprise par une coopératives

[7] C. com., art. L. 141-23, al. 5 ; L. 141-28, al. 4 ; L. 23-10-1, al. 4 ; L. 23-10-7, al. 3

[8] C. com., art. L. 23-10-1 ; art. L. 23-10-

[9] La loi prévoit que les salariés sont tenus à une obligation de discrétion dans les conditions de l’articleL.2325-5 du Code du travail relatif à l’obligation de discrétion du comité d’entreprise à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur(C.com., art. L 141-25

[10] Art. 98 de la Loi n°2014-856 du 31 juillet 2014

[11] Décret n°2014-1254 du 28 octobre 2014 relatif à l’information des salariés en cas de cession de leur entreprise, JO n°251 du 29 octobre 2014.

[12] C. trav., art. L. 2322-1

[13] Cette catégorie est déterminée par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique. Le décret indique que la catégorie des petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui, d'une part, occupent moins de 250 personnes, d'autre part, ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros

[14] C. com. : art. L. 141-27 ; art. L. 141-32 ; art. L. 23-10-6 ; art. L. 23-10-12

[15] C. com., art. L. 141-27 ; art. L. 141-32 ; art. L. 23-10-6 ; art. L. 23-10-12

[16] La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 36, 4 Septembre 2014, 1434

« L'obligation pour le cédant d'informer les salariés de sa volonté de céder le contrôle de l'entreprise » par M. le Professeur Alain Couret et M. Vincent Delage.

[17] Cass. com., 15 déc. 2009, n° 08-21.037, F-PB : JurisData n° 2009-050882.

[18] La loi indique : « le propriétaire d'une participation ».

[19] Cf note 14.