La réforme de la rupture brutale des relations commerciales établies par l'ordonnance du 24 avril 2019

L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 a réformé le Titre IV du Livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

Un nombre conséquent de pratiques restrictives de concurrence engageant la responsabilité de leur auteur a disparu.

 Seules sont désormais conservées à l’article L. 442-1-I du Code de commerce, deux pratiques :

  • l’obtention ou la tentative d’obtention d’« un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » (1°),
  • et la soumission ou la tentative de soumission « à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (2°) ;

Quant à la rupture brutale de la relation commerciale établie, elle figure désormais à l’article L.442-1, II du Code de commerce.

Par le passé, le droit de la rupture brutale des relations commerciales établies (codifié à l’ancien article L. 442-6, I 5° du Code de Commerce)[1] avait donné lieu à un abondant contentieux (environ 300 décisions de justice par an).

Initialement conçu par la Loi du 1er juillet 1996 dite « Loi Galland » pour protéger les fournisseurs contre les déréférencements abusifs de la grande distribution, il a été appliqué à presque toutes les ruptures de relations commerciales auxquelles il impose le respect d’un préavis.

Le texte a cependant été critiqué car il ne permettait pas aux entreprises d’être compétitives en leur imposant de subir un préavis dont la durée pouvait être difficilement appréciable.

A la lecture du rapport du Président de la République qui accompagnait l’ordonnance n°2019-329 du 24 avril 2019[2], on pouvait s’attendre à d’importantes modifications.

Toutefois, le nouvel article L. 442-1, II du Code de Commerce énonce désormais :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Force est de constater que les modifications apportées sont assez relatives, le nouveau texte confirmant principalement la jurisprudence qui avait été rendue au visa de l’ancien article L. 442-6, I 5° du Code de Commerce.

L’entérinement de la jurisprudence

  • Le champ d’application de la rupture brutale

Auparavant, les auteurs potentiels de la rupture étaient « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ».

Dorénavant, les auteurs sont « toute personne exploitant des activités de production, de distribution ou de services ».

La nouvelle disposition ne fait plus référence aux statuts des parties mais à leurs activités.

Elle vise donc toutes les activités commerciales, industrielles ainsi que les prestations intellectuelles.

Cette modification ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure concernant les auteurs possibles de la rupture. En effet, le précédent texte était applicable à des sociétés d’assurance mutuelle, des coopératives agricoles, voire même à des associations, et également lorsque la relation avait été établie avec un professionnel libéral (avec un architecte, par exemple[3]). Toutefois, il s’agit d’un cas exceptionnel puisque les professions libérales en sont majoritairement exclues au motif que l’exercice d’une profession réglementée est incompatible avec l’existence d’une relation commerciale (médecins, notaires, avocats). 

  • Les critères pour déterminer la durée du préavis

L’article L. 442-1, II du Code de commerce précise que le préavis doit tenir compte « notamment de la durée de la relation commerciale ».

Ce texte consacre ainsi la jurisprudence antérieure qui a pris en compte d’autres paramètres que la durée de la relation pour déterminer le délai de préavis suffisant, et notamment :

- L’état de dépendance économique de la victime de la rupture de la relation commerciale dès lors que cet état est subi et non choisi,
- La faible part du chiffre d’affaires ou son importance, sa progression ou sa baisse,
- L’existence ou l’absence d’exclusivité,
- L’existence de dépenses non récupérables engagées pour les besoins de la relation,
- Les possibilités de reconversion et le temps nécessaire pour retrouver un partenaire,
- Les stipulations contractuelles : le délai de préavis fixé contractuellement ne s’impose pas au juge. Toutefois, il a son importance puisqu’il exprime l’accord des parties sur le temps nécessaire pour se réorganiser,
- Le secteur ou la nature de l’activité (par exemple, la saisonnalité du produit),
- Ou encore les usages professionnels.

En tout état de cause, l’ensemble de ces critères doit être apprécié à la date de la notification de la rupture. L’éventuelle reconversion de la victime est inopérante car cela revient à prendre en compte des éléments postérieurs à la rupture.

  • Le maintien des facultés de résiliation sans préavis

L’article L. 442-1, II du Code de commerce précise que la rupture immédiate est justifiée en cas de force majeure ou en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations.

Le cas de force majeure est peu fréquent dans la pratique.

Les difficultés économiques ne caractérisent pas la force majeure[4].

En cas d’inexécution, l’auteur de la rupture devra rapporter la preuve d’un manquement revêtant un degré de gravité suffisant justifiant l’absence de préavis[5].

Les apports majeurs de la réforme

Les apports majeurs de la réforme sont de deux ordres :

  • L’absence de responsabilité en cas de respect d’un préavis de 18 mois

L’ordonnance du 24 avril 2019 instaure un préavis légal d’une durée maximale de 18 mois.

Toutefois, en pratique, l’impact de cette modification ne sera que limité puisque cela concernera uniquement les relations commerciales établies de très longues durées (en effet, les juges fixant en moyenne la durée de préavis à un mois par année de relation).

En tout état de cause, il s’agit d’une cause d’exclusion de responsabilité qui pourra être invoquée par l’auteur de la rupture ayant effectivement octroyé un préavis de 18 mois à son partenaire commercial.

Toutefois, la liberté contractuelle permet aux parties de fixer un préavis plus long (hypothèse rare).

  • La suppression des cas de doublement de la durée de préavis

L’ordonnance a également supprimé la règle du doublement obligatoire du préavis pour les relations portant sur des produits vendus sous marque de distributeur ou de mise en concurrence par enchères à distance.

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Les impacts de cette réforme semblent très mesurés.

La détermination de la durée du préavis sera toujours une question soumise au juge puisque la majeure partie du contentieux ne porte pas sur de longues relations commerciales.

La sécurité juridique est toutefois renforcée puisque la responsabilité de l’auteur de la rupture ne pourra pas être engagée s’il a respecté une durée de préavis de 18 mois.

Le législateur a ainsi voulu contrer les durées de préavis très longues qui avaient été imposées par les tribunaux par le passé (par exemple : pour une relation d’une durée de 20 ans, un préavis de 27 mois avait été jugé suffisant ; pour une relation d’une durée de 14 mois, un préavis de 24 mois avait été jugé suffisant).

 

[1] Ancien article L. 442-6, I 5° du Code de Commerce

[2] Rapport du Président de la République publié au JORF n° 0097 du 25 avril 2019

[3] Cass., Com., 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-18050

[4] Cass, Com, 1er mars 2017, pourvoi n° 15-12785.

[5] A titre d’exemple : le non-paiement de factures depuis 2 ans et demi à hauteur de 300.000 euros (Cass. Com., 27 mars 2019, pourvoi n° 17-16548).



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