La réforme du droit des contrats : quels impacts sur les opérations de fusions-acquisitions et de private equity ?

Voilà plus de deux siècles, que le droit des obligations est demeuré quasi inchangé[1], porté par une jurisprudence foisonnante, souvent établie, mais dont les revirements parfois surprenants ne pouvaient que difficilement être anticipés.

Pourtant, bénéficier d’une certaine visibilité et d’une stabilité du cadre légal est un des besoins premiers des opérations de Private equity et de M&A.

L’Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[2], sans révolutionner l’existant, répond aux besoins de modernisation et de sécurisation exprimés par les praticiens. Elle consacre à cet effet de nombreuses solutions jurisprudentielles.

Cette réforme entrant en vigueur le 1er octobre 2016, a donc le mérite d’apporter un brin de sérénité aux opérations de Private equity et de M&A dès la phase précontractuelle des négociations et un éclairage très intéressant à la pratique contractuelle existante.

 

I. De l’importance de la gestion de l’information dans le processus des négociations précontractuelles et de formation du contrat d’acquisition 

 

Les informations stratégiques d’ordre économique, financier, juridique ou fiscal échangées entre vendeurs et acquéreurs, entre investisseurs et managers, pendant la phase précontractuelle des négociations sont déterminantes de la réalisation et du succès des opérations M&A.

A l’ère où la transmissibilité de l’information n’a jamais été aussi rapide et difficilement maîtrisable, la réforme portée par l’Ordonnance a le mérite de consacrer l’importance de la gestion de l’information dans le processus contractuel.

Elle institue ainsi un devoir d’information d’ordre public qu’elle accompagne d’une obligation de confidentialité légale et d’une exigence de bonne foi renforcée.

 

A. Vigilance des rédacteurs d’actes face au devoir général d’information précontractuelle

Dans un processus d’acquisition, l’information se transmet dans une première phase d’audit. Les documents sont transmis par le vendeur. L’acquéreur n’a pas une totale maîtrise de l’exhaustivité de cette information. Pour y pallier, le contrat d’acquisition liste un certain nombre de déclarations du vendeur qui en garantit la réalité. Ces déclarations sont souvent nombreuses mais demeurent limitatives.

Cette pratique jusqu’alors contractuelle et relevant donc de la liberté des parties appelle désormais à la plus grande vigilance. 

Le nouvel article 1112-1 du Code civil dispose désormais que l’obligation tenant à fournir une information déterminante, à savoir, de nature importante et en lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat et ou la qualité des parties, ne peut souffrir ni de limitations ni d’exclusions.

Dès lors, une attention particulière doit être portée à la rédaction du protocole d’acquisition. Ainsi, la clause énumérant les déclarations du vendeur, initialement optionnelle, devient quasi obligatoire. En effet, le texte se réfère à une notion d’information déterminante qu’il conviendra de définir avec la plus grande précision afin de s’assurer du respect du devoir d’information.

La vigilance est d’autant plus requise que cette obligation est d’ordre public. Les clauses stipulant que les parties se déclarent informées en des termes vagues et/ou celles limitant la responsabilité d’une partie au titre de ces déclarations seront contraires à l’ordre public et donc nulles. Les manquements à ce devoir d’information engageront la responsabilité de celui sur lequel il pèse et pourra entraîner l’annulation du contrat pour vice de consentement.

Ce devoir d’information précontractuelle ainsi renforcé exigeait corrélativement un encadrement de la confidentialité de l’information. L’Ordonnance marque une réelle cohérence et un pragmatisme certain dans son approche réformiste et ne manque pas d’instituer parallèlement à ce devoir d’information une obligation légale de confidentialité.

 

B. Obligation légale de confidentialité : nouveau fondement pour les accords de confidentialité 

Dans les opérations de fusions-acquisitions, la phase de négociation est cruciale. Jusqu’alors, la nécessité de sécuriser les échanges a conduit le praticien, dès les prémisses des négociations, à développer et à systématiser la conclusion d’accords de confidentialité (Non Disclosure Agreement). La nature de cette obligation était donc contractuelle.

L’Ordonnance est venue instituer pendant la phase des négociations une obligation de confidentialité de nature légale[3], corollaire de son devoir d’information précontractuel renforcé.

Les accords de confidentialité développés par la pratique en seraient-ils devenus inutiles pour autant ? Une réponse par la négative s’impose. L’enjeu des accords de confidentialité relève de la détermination exacte de l’information, la gestion du processus de sa transmission et le cas échéant de sa destruction au terme des négociations. 

L’Ordonnance présente néanmoins un intérêt. Certes, elle apporte un fondement légal à une pratique contractuelle et couvre les cas où il n’a pas été conclu d’accord de confidentialité, mais elle propose surtout un package complet de protection en phase de négociation comprenant l’information, la protection de l’information et la bonne foi des parties.

 

C. Bonne foi pendant la phase des négociations : l’ordonnance tranche en faveur d’une sanction désormais unique

La rupture des pourparlers en vue de l’acquisition d’une société est un sujet qui a longtemps nourri le contentieux civil et commercial, en particulier lorsque des informations stratégiques ont été échangées.

Afin de protéger le vendeur des négociations menées de mauvaise foi par des investisseurs potentiels, l’Ordonnance a codifié l’extension de l’exigence de bonne foi en phase d’exécution du contrat à celle des négociations[4], déjà reconnue par la jurisprudence[5].

Si cette codification semble en faveur d’une sécurisation de la phase des négociations dans les opérations d’acquisition, la qualification de manquement au principe de bonne foi relèvera néanmoins du pouvoir d’appréciation du juge.

La réforme a toutefois le mérite de trancher une jurisprudence hésitante[6] quant à la réparation du préjudice en cas de rupture fautive qu’elle limite aux dépenses et frais occasionnés lors de la négociation[7].

 

II. Une rédaction précisée des clauses du pacte d’actionnaires

 

Une jurisprudence riche mais aléatoire et une créativité accrue des praticiens ont permis au fil du temps de sécuriser certaines clauses du pacte d’actionnaires.

L’Ordonnance en codifiant les arrêts de la Cour de cassation liés aux pactes de préférence et la pratique attachée aux promesses unilatérales permet de sécuriser l’existant. Elle n’en demeure pas moins innovante en consacrant enfin la théorie de l’imprévision.

 

A. L’imprévision : au choix des contractants

De façon constante, la Cour de cassation[8] a toujours refusé de corriger un déséquilibre provoqué par les circonstances imprévisibles de nature à rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’une des parties.

A contrecourant, l’Ordonnance a consacré la théorie de l’imprévision[9]. Elle permet en cas d’exécution du contrat devenu « excessivement onéreuse » du fait de la survenance de « circonstances imprévisibles » et dont la victime « n’avait pas accepté le risque » d’obliger les parties à renégocier le contrat. L’exécution du contrat n’est pas interrompue dans un premier temps. En cas d’échec des négociations, le juge peut être saisi dans un « délai raisonnable ».

La référence à un « délai raisonnable » est regrettable mais la théorie d’imprévision demeure supplétive. Les parties peuvent en écarter l’application en choisissant expressément de supporter les conséquences de la survenance des circonstances imprévisibles, ou en définir les conditions d’application.

 

B. Non-respect des pactes de préférence : Codification de la sanction et de sa mise en œuvre

Les droits de préemption, de préférence ou de premier refus sont systématiquement stipulés dans les pactes d’actionnaires.

Le non-respect de ces clauses engage la responsabilité de celui qui s’y oblige. Une jurisprudence constante[10] reconnait au bénéficiaire le droit de demander la nullité du contrat passé avec un tiers et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur, si et seulement si, le tiers avait connaissance de ce droit et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.

L’Ordonnance consacre cette jurisprudence. En cas de mauvaise foi du tiers, la violation du pacte de préférence est sanctionnée par la nullité du contrat conclu avec le tiers ou la substitution du bénéficiaire initial à ce dernier. En cas de bonne foi du tiers, la sanction demeure identique et consiste en l’octroi de dommage et intérêts[11].

Si l’Ordonnance prétend réformer à droit constant, elle a cependant institué une action interrogatoire[12] qui ne manque pas d’intérêt. Cette procédure permet au tiers d’inviter formellement le bénéficiaire à confirmer ou non sa volonté de se prévaloir de ce droit dans un délai raisonnable. L’intérêt de cet ajout est qu’à défaut de réponse le bénéficiaire ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité de celui-ci.

 

C.    Promesses unilatérales : chose promise chose due   

Les pactes d’actionnaires foisonnent de promesses unilatérales qu’ils s’agissent des clauses de bad ou good leaver ou des clauses drag et tag along.

L’Ordonnance vient renforcer la sécurité et l’efficacité juridique de ces promesses unilatérales[13].

En premier lieu, l’Ordonnance[14]  sanctionne désormais la révocation de la promesse unilatérale par le promettant par l’exécution forcée de celle-ci. Précédemment, seuls des dommages et intérêts étaient octroyés par les tribunaux[15] sauf à ce que les parties aient contractuellement stipulé une renonciation à l’article 1142 du code civil.

En second lieu, la cession à un tiers intervenue en violation de cette promesse est sanctionnée par la nullité. La sanction de la méconnaissance de la promesse unilatérale est ainsi renforcée mais la possibilité de substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers telle que prévue pour les pactes de préférence n’a malheureusement pas été prévue.

 

***

A une époque où le progrès technique et économique accélère de manière conséquente la pratique du droit, cette réforme a pour premier mérite d’exister puisqu’elle réforme des dispositions vieilles de deux siècles. La consécration de nombreuses solutions jurisprudentielles est une réelle contribution à la sécurisation de opérations. Les nouveautés sont encore timides mais là n’était pas l’ambition de cette première réforme. Affaire à suivre.

 

F. Khachani, 
Lamiaa Iraqi-Houssaini, collaboratrice

 

[1] Hormis les apports relatifs aux contrats électroniques réalisés en 1975 et en 2002

[2] Ordonnance n°2016-131 prise en application de l’article 8 de la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures – entrée en vigueur 1er octobre 2016

[3] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1112-2 nouveau du Code civil

[4] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1104 nouveau du Code civil

[5] Cass. 1e civ. 14 juin 2000, n° 98-17.494 ; Cass. com. 8 novembre 2005, n° 04-12.322

[6] Cass. com. 4 décembre 1990, n°89-16.338 ; Cass. com. 26 novembre 2003, n° 00-10.243

[7] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1111 al 3 nouveau du Code civil

[8] Cass. Req. 6 mars 1876, DP, 1876, 1, p.193, arrêt dit du « Canal de Craponne »

[9] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1195 nouveau du Code civil

[10] Cass. 3e civ. 31 janvier 2007, n°05-21.071

[11] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1123 al 2 nouveau du code Civil

[12] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1123 al 3 nouveau du code Civil

[13] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article1124 nouveau du Code civil

[14] Article 2 de l’Ordonnance instituant l’article 1124 alinéa 2 nouveau du Code civil

[15] Cass. 3e civ. 28 octobre 2003, n° 02-14.459 et Cass. com. 13 septembre 2011, n° 10-19.526