Le point sur le nouveau dispositif légal en matière de pénibilité au travail : une certitude et de multiples interrogations

Le dispositif législatif mis en place par les lois des 9 novembre 2010[1] et 20 janvier 2014[2] est clair : toute entreprise doit désormais prévenir la pénibilité au travail. Malheureusement, les textes actuels contiennent plusieurs zones d’ombre. Une Instruction ministérielle en date du 13 mars 2015[3] vient d’apporter quelques réponses mais de nombreuses interrogations demeurent en suspens.

 

1. Une certitude : toute entreprise est concernée par la prévention de la pénibilité au travail quelques soient sa taille et ses activités

De nombreuses entreprises pensent qu’elles ne sont pas concernées par la prévention de la pénibilité notamment car elles n’exercent pas dans des secteurs dits à risque.

Il n’en est rien puisque cette obligation incombe à toute entreprise de droit privé.

 

Qu’implique l’obligation de prévenir la pénibilité au travail ?

Le nouveau dispositif applicable dès le 1er janvier 2015 met à la charge de l’entreprise trois grandes obligations qu’il faut veiller à respecter sous peine notamment de se voir condamner à une peine d’amende.

La première est l’évaluation de la proportion de salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité.

Pour déterminer si un salarié est exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité, il faut examiner si ses conditions habituelles de travail, sur l’année, dépassent le seuil réglementaire, et ce, malgré les moyens de protection individuelle et collective mis à sa disposition.

L’exposition du salarié est donc appréciée après la mise en place des mesures de prévention.

Pour 2015, seuls quatre facteurs de pénibilité sont retenus et les seuils sont les suivants :

- le travail de nuit : au-delà de 120 nuits par an avec une heure de travail entre 24h et 5h ;

- le travail en équipes successives alternantes ;

- le travail répétitif : au-delà de 900 heures par an pour un temps de cycle inférieur ou égal à une minute et pour 30 actions techniques ou plus par minute avec un temps de cycle supérieur à une minute ;

- le travail en milieu hyperbare : au-delà de 60 interventions ou travaux par an avec une pression de 1200 hectopascals.

 

Six autres facteurs devraient entrer en vigueur en 2016 : manutentions manuelles de charges, postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux, températures extrêmes, bruit.

En pratique, pour l’évaluation, l’employeur s’appuie principalement sur le document unique d’évaluation des risques (DUER). Ce document unique devra désormais consigner en annexe les résultats de l’évaluation faite.

Si l’évaluation aboutit à l’identification de salariés exposés au-delà des seuils définis, la deuxième obligation de l’employeur sera l’établissement de fiches individuelles de prévention pour chaque salarié concerné. Ces fiches devront mentionner :

- le ou les facteurs de risques professionnels auxquels le salarié est exposé,

- la période pendant laquelle l’exposition est survenue,

- les mesures de prévention prises pour faire cesser ou réduire l’exposition durant cette période.

 

Les entreprises devront veiller à remettre les fiches aux salariés :

- au plus tard le 31 janvier de l’année suivant l’exposition, si les intéressés ont été sous contrat du 1er janvier au 31 décembre ;

- au plus tard un mois après la fin de leur contrat de travail si celui-ci vient à échéance en cours d’année (avec une tolérance en cas de départ courant 2015, la fiche pourra n’être remise que le 1er janvier 2016).

 

La fiche est personnelle et les informations qui y sont contenues confidentielles. Les instances représentatives du personnel n’ont aucun droit de communication de ces fiches.

Enfin, la troisième et dernière obligation ne concerne que les entreprises de 50 salariés et plus et dont la moitié de l’effectif est exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Ces entreprises doivent conclure un accord ou adopter un plan d’action pour prévenir la pénibilité.

A défaut de conclusion d’accord ou de mise en place d’un plan d’action, les entreprises seront redevables d’une pénalité correspondant à 1 % de la masse salariale des salariés exposés.

 

Quelles compensations sont octroyées aux salariés exposés à la pénibilité ?

En premier lieu, le salarié bénéficiera de l’ouverture d’un compte pénibilité.

Ce compte, géré par la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse), a pour objet de comptabiliser, sous forme de points, les droits de chaque salarié exposé à la pénibilité.

Le salarié en contrat à durée indéterminée bénéficiera pour une année d’exposition de 4 points et 8 points en cas de poly-exposition. Le salarié en contrat de courte durée (supérieure ou égale à 1 mois) bénéficiera d’un point pour chaque période de 3 mois d’exposition et deux points en cas de poly-exposition.

C’est la CARSAT (Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail) qui informera les salariés au plus tard le 30 juin de chaque année du nombre de points inscrits sur leur compte. La CARSAT contrôle également l’exactitude des déclarations de l’employeur et peut, le cas échéant, opérer des redressements.

Grâce aux points alloués au titre de la pénibilité, les salariés pourront solliciter :

- une formation : 1 point donne droit à 25 heures de formation pour accéder à un poste moins pénible,

- la réduction du temps de travail : chaque groupe de 10 points permet de financer un trimestre de mi-temps,

- l’anticipation du départ à la retraite à partir de 55 ans.

 

Les 20 premiers points doivent obligatoirement être mobilisés pour la formation.

 

De quelles nouvelles cotisations doit s’acquitter l’employeur en matière de pénibilité ?

Le compte personnel de prévention de la pénibilité est financé par une double cotisation à charge des entreprises :

- 0,01 % de la masse salariale à compter de 2017 payable au mois le mois par toute entreprise qu’elle ait ou non des travailleurs exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité ;

- 0,1 % de la masse salariale pour les salariés exposés à un seul facteur et 2% pour les salariés exposés à plusieurs facteurs et ce, à compter du 1er janvier 2015.

 

Compte tenu de l’importance des sommes en jeu, les entreprises ont tout intérêt à réduire l’exposition de chaque poste de travail à la pénibilité en mettant en place des mesures de prévention et/ou en favorisant la polyvalence.

 

2. De nombreuses interrogations

Malheureusement, les contours du dispositif sur la prévention de la pénibilité demeurent encore flous.

Par exemple, l’évaluation des expositions s’avère difficile notamment lorsque les salariés sont absents plusieurs mois pendant l’année considérée (congé maladie, sabbatique etc.). La loi ne précise pas si l’employeur doit exclure les périodes d’absence ou au contraire apprécier l’exposition de façon abstraite en considération du poste occupé par le salarié absent. L’instruction ministérielle du 13 mars 2015 précise que les longues absences doivent être prises en compte dans l’évaluation de la pénibilité sans plus de précision. Mais à partir de quel moment doit-on considérer que le salarié est en longue absence ?

De même, l’évaluation des salariés affectés à des postes polyvalents est problématique. Concrètement, comment mesurer l’exposition des salariés qui passent d’un poste à l’autre plusieurs fois dans la même journée ?

A ces questions, s’ajoute une réelle incertitude sur les conséquences directes et indirectes de ce nouveau dispositif sur les litiges entre salarié et employeur.

En effet, le nouveau dispositif sera certainement la source de contentieux directs comme des contestations par les salariés de l’évaluation de leur exposition à la pénibilité.

Des contentieux indirects pourront également découler du dispositif de prévention de la pénibilité. On peut ainsi facilement imaginer qu’un salarié utilise sa fiche de prévention pour alimenter une action en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, qu’il saisisse un juge en indemnisation du préjudice d’anxiété découlant de son exposition à des facteurs de pénibilité.

Il est donc à souhaiter que les contours de ce « nouveau droit » des salariés soit rapidement défini avec plus de précision.

[1] L. n°2010-1330, 9 nov. 2010

[2] L. n°2014-40, 20 jan. 2014

[3] Inst. DGT-DSS n°1, 13 mars 2015