Les créanciers : acteurs dans le sauvetage de l'entreprise en difficulté ?

Par Philippe Berteaux

L’Ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 et son Décret d’application n°2014-736 du 30 juin 2014 emportent certaines nouveautés relatives au traitement des entreprises en difficulté.

L’une d’entre elles, inspirée du droit américain, consiste à permettre aux créanciers de l’entreprise en difficulté de présenter des plans de sauvegarde et de redressement concurrençant celui élaboré par l’entreprise elle-même. [1]

L’idée est de faciliter l’entrée de créanciers au capital de l’entreprise en difficulté à travers la conversion de leurs titres de créances.

Alors que l’entrée au capital des créanciers s’opère de façon consensuelle dans le cadre de la procédure de sauvegarde (l’actionnariat déjà en place ne pouvant être exproprié par l’instauration de nouvelles règles de majorité), il peut en être différemment dans le cadre d’un plan présenté en redressement judiciaire (un Mandataire ad hoc désigné par le Tribunal pouvant exercer les droits de vote des opposants, les clauses d’agrément étant par ailleurs écartées).[2]

L’objectif est en soi louable car (i) il impose à l’entreprise dont le plan est concurrencé par celui des créanciers une exigence de sérieux et de cohérence et (ii) opère mécaniquement une baisse du passif par l’incorporation au capital des titres de créances.

Cela étant, l’efficacité d’un tel dispositif ne se résume pas à une simple prise de contrôle de l’entreprise en difficulté par les créanciers qui seront en pratique des établissements bancaires.

Ce dispositif va contraindre les banques, dans de nombreuses situations, à injecter de l’argent frais dans l’entreprise en difficulté.

En effet, l’incorporation de créances au capital n’a pas en elle-même d’impact sur le financement de l’exploitation de l’entreprise en difficulté  (besoin en fonds de roulement et investissements).

Il en résulte un véritable paradoxe : plutôt que de refinancer une entreprise en difficulté sans rechercher à en prendre le contrôle, les banques accepteraient de devenir actionnaires majoritaire en finançant l’activité sans en attendre une rémunération ?

Ce paradoxe nous ramène à nouveau une réalité incontournable sur laquelle l’action du législateur n’a que peu d’impact : le traitement d’une entreprise en difficulté impose l’apport de ressources liquides nouvelles dans le cadre d’un projet viable et pérenne.

Si on peut saluer l’émergence de nouveaux acteurs à travers les banques, celles-ci  risquent d’être rapidement rattrapées par cette réalité.

 

[1] Articles L.626-30-2 et L.631-19-I du Code de commerce

[2] Articles L.631-19-I et II du Code de commerce.



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