SEA France : vers la fin d'une incroyable saga

« Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le commencement de la fin. Mais, c'est peut-être la fin du commencement. »

Les encouragements posthumes de Sir Winston Churchill ne suffiront probablement pas à convaincre les 577 salariés de la SCOP SEA France d’une issue favorable.

La SCOP est en redressement judiciaire depuis le 11 juin 2015.[1]

Cette société coopérative exploitait depuis trois ans, trois ferries appartenant à MyFerryLink, une filiale d’Eurotunnel (le Rodin, le Berlioz et le Nord Pas de Calais).

Ces navires font la navette entre Calais en France et Douvres en Grande Bretagne.

Or, son contrat d’affrètement conclu avec MyFeeryLink  a été dénoncé à effet du 1er juillet 2015.

A la minute où cet article est écrit, la SCOP peut espérer au mieux un plan de cession et au pire une liquidation judiciaire.

Quelle que soit son issue, ce dossier restera marquant par ses singularités, tant il aura été l’objet de multiples rebondissements.

 

Une entreprise contrôlée par la SNCF qui devient défaillante

A l’origine, l’entreprise SEA France devait être immunisée contre toute procédure collective et pour cause, elle avait pour actionnaire à quasi 100% la SNCF.

Pour autant l’appartenance à une entreprise publique ne facilitait pas les opérations de recapitalisation au regard de la législation communautaire en matière d’aides publiques aux états membres.

La situation de l’entreprise se dégradera au cours de l’année 2009 du fait d’une chute du marché fret sur les liaisons transmanche qui conduira la direction à envisager un plan social entrainant la suppression de 500 postes.[2]

Ce plan n’emportant pas l’adhésion des représentants du personnel, la société SEA France sollicitera le bénéfice d’une procédure de sauvegarde puis de redressement judiciaire.

Pendant près de 18 mois, les Administrateurs judiciaires exploreront toutes les solutions.

Un plan de redressement sera recherché avec le concours de l’actionnaire SNCF.

Une offre de reprise sera également présentée par Louis Dreyfus Armateurs/DFDS mais sera pourtant rejetée par le Comité d’entreprise, offre considérée comme trop drastique.

Le 9 janvier 2012, l’impossible survient : SEA France est mise en liquidation judiciaire et 1500 emplois disparaissent.

 

Une résurrection par le projet SCOP/EUROTUNNEL

L’entreprise renait de ses cendres en 2012.

Le groupe EUROTUNNEL (sorti lui-même d’une procédure de sauvegarde quelques années auparavant) décide de présenter une offre de reprise de l’activité en y associant une société coopérative créée par un groupe de salariés et appelée SCOP SEAFRANCE.

Rappelons que le principe d’une SCOP constituée dans le cadre d’une reprise par les salariés d’une entreprise en difficulté repose sur un financement assuré par les indemnités de licenciement perçues par lesdits salariés, notamment par les AGS.

Pour les besoins de la reprise, le groupe EUROTUNNEL créé trois filiales, propriétaires des trois navires, ainsi qu’une autre filiale (MFL SAS)  liée à la SCOP SEA FRANCE par un contrat commercial d’achat de la traversée, le chiffre d’affaires généré revenant à cette filiale.

De son côté, la SCOP SEAFRANCE loue les trois navires aux filiales propriétaires d’EUROTUNNEL dans le cadre d’un contrat d’affrètement coque nue.[3]

Un pari gagnant /gagnant, une activité pérenne renait et 533 emplois sont créés en France.

 

Un litige devant l’Autorité de la concurrence Britannique

L’entreprise SEAFRANCE pensait en avoir terminé avec ses difficultés.

Cela était sans compter sur un nouvel obstacle constitué par l’autorité de la concurrence britannique.

Dès la naissance du projet de reprise, soit en juin 2012, cette autorité déclenche une procédure d’investigation qui aboutit à une décision radicale prononcée le 6 juin 2013 qui condamne l’entreprise SEA France : interdiction pour le groupe EUROTUNNEL d’exploiter quelque ferry que ce soit depuis le port de Douvres pendant 2 ans et vente des navires dans les 6 mois de la décision.

Un appel est interjeté.

Alors que l’on pouvait croire l’entreprise condamnée, un coup de théâtre intervient, la Court of Appeal de Londres réforme en totalité le 15 mai 2015 la décision précitée, estimant que la Competition Market Authority n’avait pas compétence pour se prononcer sur la comptabilité de l’opération avec les règles du droit de la concurrence britannique.[4]

L’entreprise SEA FRANCE est désormais sauvée.

 

Une dénonciation du contrat EUROTUNNEL/SCOP SEAFRANCE

L’euphorie aura été de courte durée.

Le 8 juin 2015, Jacques GOUNON, Président du groupe EUROTUNNEL, annonce la vente de deux des trois navires exploités sur la ligne transmanche au concurrent danois DFDS en raison des décisions de la Commission de la concurrence britannique qui l’aurait contrainte à décider d’arrêter son activité FerryLink plusieurs mois auparavant.[5]

La SCOP SEAFRANCE n’a aucune chance de survivre à cette cession qui emporte dénonciation du contrat d’exploitation des ferries avec EUROTUNNEL à effet du 1er juillet 2015.

Certains expliquent le choix de Monsieur GOUNON par les fortes dissensions qui auraient existées entre l’encadrement installé par le groupe EUROTUNNEL au Directoire de la SCOP et le Président du Conseil de surveillance de la SCOP SEAFRANCE, Monsieur Didier CAPELLE, la figure emblématique syndicale du combat des salariés de SEAFRANCE.

Le hasard voudra que Monsieur CAPPELLE décède d’une crise cardiaque le jour même de l’annonce de Monsieur GOUNON……

Le 10 juin 2015, la SCOP SEAFRANCE est placée en redressement judiciaire.

 

Une fin qui commence ?

Bien qu’aucune décision ne soit prise, les jours de la SCOP SEAFRANCE semblent comptés.

577 emplois sont en jeu.

Pour certains, cette situation est le fruit d’une mésentente entre l’encadrement du groupe EUROTUNNEL et  d’anciens représentants syndicaux de l’entreprise.

D’autres affirment que le désengagement d’EUROTUNNEL résulte de la position adoptée (à l’origine) par l’autorité de la concurrence britannique.

Dans les deux cas, il n’est pas évoqué, en tout hypothèse clairement, un manque de rentabilité et une absence de pérennité possible de l’activité au point d’ailleurs que celle-ci pourrait se poursuivre à travers un concurrent qui pourrait embaucher une partie des anciens SEAFRANCE.

Une impression de formidable gâchis ne peut que prédominer d’autant qu’une issue favorable était à portée de mains alors que des obstacles jugés infranchissables avaient été surmontés.

La SCOP SEAFRANCE n’aura jamais connu une vie heureuse et pour autant, des ferries continueront à traverser la Manche.

Pas forcément une fin qui commence.

 

[1] La Voix du Nord 12 juin 2015.

[2] RLDA n°92 Avril 2014

[3] RLDA numéro 92 Avril 2014.

[4] Le Marin.fr 21 mai 2015.

[5] Libération.fr 8 juin 2015

 



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