Vers un encadrement strict de la responsabilité délictuelle de la société mère à l’égard des salariés licenciés d’une filiale soumise à une procédure collective

Un palliatif au co-emploi

Longtemps les salariés d’une entreprise licenciés pour motif économique en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de leur employeur ont vu dans la théorie du co-emploi un moyen de trouver un débiteur solvable en la personne de la société mère, qualifiée de co-employeur.

Cependant, les décisions rendues par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation au cours des dernières années ont rendu moribonde cette théorie du co-emploi.[1]

On a alors assisté à une mutation du fondement juridique des actions des salariés licenciés vers celui de la responsabilité civile délictuelle de droit commun au visa de l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382).

Des conditions strictes de mise en jeu de responsabilité

Les trois Arrêts rendus par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans les affaires Sun Capital Partners, Keyria et Bouyer au cours de l’année 2018 n’ont pas à l’évidence répondu favorablement à cet espoir, bien au contraire.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé que pour voir engagée la responsabilité de l’actionnaire de la filiale placée en procédure collective, la preuve d’une simple immixtion même anormale dans la gestion sociale et commerciale de cette filiale ne suffit pas.

La Juridiction suprême exige ainsi que soit démontrée une faute de l’actionnaire directement à l’origine de la déconfiture de sa filiale, faute consistant en la préservation des seuls intérêts personnels de la société mère au détriment de ceux de sa filiale.

Dans l’affaire Sun Capital Partners[2], la Chambre sociale de la Cour de Cassation a retenu la responsabilité de l’actionnaire du groupe qui avait agi dans son seul intérêt :

  • en utilisant la trésorerie de la filiale au-delà des possibilités financières de celle-ci,
  • en percevant des redevances au titre d’une licence d’exploitation dont la filiale ne bénéficiait pas,
  • en faisant contracter par la filiale une garantie sur un de ses immeubles pour un financement destiné à une autre société du groupe,
  • en faisant acquérir par la filiale un stock gagé par un créancier du groupe,
  • en ne s’assurant pas que les factures de la filiale aux autres sociétés du groupe soient réglées.

Ces éléments démontraient clairement que l’intérêt personnel de l’actionnaire avait été privilégié avec pour conséquence de fragiliser financièrement la filiale qui ne pourra échapper à l’ouverture d’une procédure collective.

Dans le même ordre d’idée, dans la seconde espèce (affaire Keyria)[3], la responsabilité de l’actionnaire a été retenue aux motifs que celui-ci avait procédé à des remontées de dividendes dans des conditions manifestement anormales au regard des marges d’autofinancement des filiales concernées.

Dans un troisième Arrêt, (affaire Bouyer)[4], la Cour de Cassation écarte la responsabilité de l’actionnaire car :

  • la situation de la filiale était compromise depuis plusieurs années,
  • la société mère avait soutenu financièrement sa filiale en difficulté,
  • les management fees facturées par la société mère correspondaient à de véritables prestations,
  • il n’appartenait pas à la mère de se substituer à sa filiale pour mettre en œuvre une stratégie industrielle et commerciale ainsi qu’une politique de ressources humaines.

Des solutions qui imposent cependant des bonnes pratiques

Ces décisions ont l’avantage d’apporter une meilleure visibilité sur les opérations à proscrire au sein d’un groupe de sociétés.

Elles ne sont pas véritablement surprenantes tant certaines circonstances relevées par les juridictions du fond ne pouvaient que conduire à une sanction civile au regard des atteintes graves portées à l’intérêt social des filiales concernées.

Les pratiques ainsi sanctionnées demeurent cependant tout à fait exceptionnelles.

Pour autant, la Cour de Cassation est là pour nous rappeler que l’affaiblissement de la théorie du-co-emploi ne saurait pour autant être autoriser les groupes de sociétés à s’exonérer d’une gestion rigoureuse préservatrice des intérêts propres de chacune de leurs filiales.

En effet, si les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’actionnaire sont désormais encadrées, le franchissement « de la ligne jaune » risque d’être à titre d’exemplarité durement sanctionné avec la conséquence que de tels agissements affaiblissent le groupe dans son ensemble et les salariés qui y sont attachés.

 

[1] Notamment Cour de Cassation Chambre Sociale Affaire Molex, 2 juillet 2014, n°13-15208

[2] Cass Soc 24 mai 2018, n°16-22.881, aff Sun Capital Partners

[3] Cass Soc 24 mai 2018, n°17-12.560, Aff Keyria,

[4] Cass Soc 24 mai 2018, n°16-18.621, Aff Bouyer,



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