Reprise à la barre du Tribunal d’une entreprise par son dirigeant : Le leurre de l’Ordonnance Covid 2020-596 du 20 mai 2020
par Philippe Berteaux
Par Jugement du 14 septembre 2020, le Tribunal de commerce de Marseille a arrêté le plan de cession de certains magasins de l’enseigne Alinéa au profit du dirigeant et des actionnaires de la chaine de magasins.
Certains observateurs ont pu y voir les effets de l’Ordonnance Covid n°2020-596 du 20 mai 2020, laquelle en son article 7, permet au dirigeant d’une entreprise ayant déposé le bilan, de requérir du Tribunal qu’il autorise la cession de ses actifs par dérogation à la règle d’interdiction posée à l’article L.642-3 du Code de commerce.
Aux termes de cet article, « Ni le débiteur, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, ni les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire, ni les parents ou alliés jusqu'au deuxième degré inclusivement de ces dirigeants ou du débiteur personne physique, ni les personnes ayant ou ayant eu la qualité de contrôleur au cours de la procédure ne sont admis, directement ou par personne interposée, à présenter une offre. »
Or, à plusieurs égards, l’Ordonnance du 20 mai 2020 ne saurait être perçue comme une aubaine permettant à un dirigeant et/ou des actionnaires d’opérer des rachats sur eux-mêmes en profitant par la même occasion de l’absence de reprise du passif de l’entreprise cédée en plan de cession.
En premier lieu, le principe de l’interdiction posée à l’article L.642-3 du Code de commerce reste intacte.
En second lieu, la dérogation existait avant même l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 20 mai 2020, le Procureur de la République pouvant requérir du Tribunal qu’il autorise à titre exceptionnel la cession de l’entreprise à son dirigeant.
La seule innovation de l’Ordonnance du 20 mai 2020 réside dans la faculté du dirigeant de requérir lui-même cette dérogation auprès du Tribunal.
Pour autant, ce dirigeant pourra difficilement se passer de l’avis favorable du Procureur de la République car celui-ci dispose de la faculté d’interjeter appel de la décision d’autorisation du Tribunal, cet appel étant suspensif.
Nous voilà donc revenu au point de départ.
En réalité, l’applicabilité de la dérogation doit être recherchée non dans la lettre des textes mais dans le sens que le législateur a donné à la règle d’interdiction.
Il s’agit avant tout d’une règle de moralisation des plans de cession consistant à éviter qu’un dirigeant ne profite des effets d’un plan de cession en reprenant une activité purgée de tout passif.
Le mérite d’une dérogation à cette règle d’incompatibilité réside dans les trois piliers d’un plan de cession : la pérennité de l’activité, le maintien du niveau de l’emploi et le désintéressement.
Ces objectifs ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel d’un dogmatisme moralisateur excessif et il est pertinent d’ouvrir de façon exceptionnel la voie d’un rachat en plan de cession de l’entreprise par son dirigeant, surtout lorsqu’il présente la seule offre de reprise présentée au Tribunal.
Pourtant, il ne faut guère se faire d’illusion, la juridiction consulaire redoublera d’exigence face à une demande dérogatoire car la perspective d’un nouvel échec, outre la création d’un passif nouveau, apparaitrait comme une cruelle désillusion pour les salariés repris.
Elle aura raison car le traitement des difficultés d’une entreprise impose un regard objectif et courageux sur ses chances de retournement et doit exclure toute approche démagogique consistant à retarder à plus tard le constat d’un échec annoncé.
Il faut se réjouir qu’en pratique, les Tribunaux de commerce spécialisés ne cessent de consacrer une telle approche.
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